Gauvain
Je ne sais si mieux vaut attendre ici, dans l’espoir que passent des chevaliers qui pourraient nous venir en aide, ou bien nous remettre en route. Nous sommes démunis de tout pour demeurer dans la forêt, mais je supporterais le voyage si malaisément que j’ignore quel parti prendre. – Je crois, dit Gauvain, que nous risquons davantage en nous attardant par ici. »
Il avait à peine proféré ces mots qu’un cavalier parut sur le chemin, venant droit sur eux. Cet homme, dont la mine indiquait la bravoure, n’était pas seul : l’écuyer qui le précédait conduisait un second cheval. Gauvain et la jeune fille l’aperçurent en même temps. L’autre, dès qu’il les vit, descendit de son palefroi. Il se disait que ces voyageurs avaient grand besoin d’aide et que ce serait une bonne action que de les secourir, car ils semblaient gens de bonne compagnie et dignes de compassion. Suivi de la jeune fille, Gauvain s’avança à sa rencontre et tous deux saluèrent aimablement le nouveau venu.
Il les salua en retour fort courtoisement. « Cher seigneur, dit Gauvain, ton arrivée nous est d’un puissant réconfort, car nous voici bien misérables. – Dites-moi, s’il vous plaît, dit le chevalier, comment vous vous déplacez, qui vous êtes tous deux, de quelle terre vous venez, et où vous avez passé la nuit. Avez-vous mangé et bu depuis que vous êtes entrés dans la forêt ? Dites-moi aussi dans quel but vous avez entrepris ce voyage. » Gauvain s’empressa de lui répondre et lui raconta en détail ce qui s’était passé. Le chevalier, qui faisait montre d’une parfaite éducation, se signa, tant l’étonnait leur mésaventure.
« Maintenant que je sais ta situation, je ne demande qu’à t’aider, seigneur, dit le chevalier. Mais avant de vous porter secours, je réclame de toi un don : que tu me récompenses de mon aide le jour où je me trouverai dans des circonstances analogues. – Bien volontiers, seigneur, répondit Gauvain, à condition que l’aide requise ne porte pas atteinte à mon honneur. – Cela va de soi. – Par Dieu tout-puissant, dit Gauvain, je t’en fais serment !
— Dans ces conditions, dit le chevalier, tu peux prendre mon cheval pour ton usage, je te le donne. Je désire également que cette jeune fille, qui paraît belle et courtoise, accepte de ma part ce palefroi avec tout son harnais. Ce présent que je fais aujourd’hui me sera bien rendu quand je t’en procurerai l’occasion. – Seigneur, répondit Gauvain, comment, après avoir reçu un don aussi somptueux, pourrais-je jamais refuser de te récompenser ? – J’y compte bien, dit l’autre. Cependant, si cela ne déplaît à cette jeune fille ni à toi-même, j’aimerais, en attendant mieux, que tu me cèdes l’épervier que je vois là, campé sur cette solive. » Gauvain pria alors la jeune fille de bien vouloir donner l’oiseau et celle-ci n’émit aucune réserve. « Très bien, dit le chevalier. Je vais maintenant vous quitter. Quant à mon nom, vous ne le saurez que lorsque tu seras en mesure de me payer de retour. » Il fit alors descendre de cheval son écuyer, et lui-même enfourcha le roncin. Puis, après avoir pris congé, il rebroussa chemin à travers la forêt, son écuyer le suivant à pied.
Gauvain prit donc le palefroi, dont le harnachement était des plus riches, et il y jucha la jeune fille. Il enfourcha lui-même l’autre monture, non sans regretter amèrement Gringalet. La jeune fille au clair visage était tout heureuse et gaie du secours que Dieu leur avait envoyé : ils avaient été en grande détresse et, maintenant, se retrouvaient en bonne voie. Cependant, Gauvain ne pouvait s’empêcher de penser que l’attitude du chevalier inconnu devait cacher quelque mystère.
Ils s’en retournèrent donc ensemble et allèrent droit leur chemin, au gré de l’aventure. Ils chevauchèrent ainsi jusqu’après midi, toujours sans avoir ni mangé ni bu. Soudain, Gauvain aperçut venant vers eux au milieu du chemin un charbonnier. Celui-ci, menant deux ânes et un roncin, se déplaçait à vive allure. Gauvain l’interpella aussitôt et lui demanda s’il pourrait leur indiquer un hôte susceptible de leur procurer de quoi se restaurer. « Seigneur, répondit le charbonnier, la Rouge Cité est tout près d’ici. Mais si tu voulais m’en croire, tu te dispenserais d’y pénétrer, car tu t’exposerais à une redoutable épreuve. – De quelle épreuve
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