Gauvain
m’atteindre dès hier, avec un cheval aussi rapide que le tien, car je n’allais qu’au pas. Mais je ne te crois nullement résolu à saisir l’occasion de te battre avec moi. Et ne compte pas davantage que je t’en prierai. Retourne à la cour du roi Arthur et laisse-moi poursuivre mon chemin. Il faut que tu saches une chose : c’est moi qui, de mon pays, ai envoyé cette jeune fille au clair visage, lui ordonnant de se rendre seule à la cour d’Arthur. Et, ensuite, je suis venu, à grand tapage, la reprendre sous les yeux de nombreux barons, ce dans le seul but de m’offrir une raison valable de te combattre. – Eh bien ! s’écria Gauvain avec colère, puisque c’est ce que tu voulais, me voici. Je relève ton défi, tu auras ainsi le combat que tu désirais ! »
Mais cela ne faisait l’affaire ni du jeune homme ni de la jeune fille du cimetière. Tous deux se rendaient en effet compte que vu l’heure de la journée, la force d’Escanor de la Montagne était en pleine ascension. « Seigneur, dit le jeune homme à Gauvain, ce n’est pas sur ce chemin que vous pourrez vous battre. Les arbres vous empêcheront de jouter à loisir. En revanche, non loin d’ici, je sais un pré placé dans une vaste et belle lande. Ce lieu découvert conviendrait bien mieux pour votre duel. On vous jugerait très sévèrement s’il avait lieu dans ces chemins sillonnés d’ornières bourbeuses. – Il a raison, dit Escanor. Je ne vois aucune objection à me rendre là-bas si Gauvain y consent. » Ainsi fut, à la grande joie du jeune homme, différé de plusieurs heures l’affrontement de Gauvain et d’Escanor.
Ils continuèrent donc leur route, le jeune homme en tête, puisqu’il connaissait le chemin. Après avoir passé plusieurs vallées et traversé des bois touffus, ils parvinrent à une grande lande au milieu de laquelle se trouvait un pré de belles dimensions et couvert d’herbe verte. Mais il était déjà tard, et, sur l’horizon, le soleil commençait à décliner. Escanor fit alors descendre sa compagne et l’installa à l’ombre d’un bosquet, puis il resserra les attaches de son armure. De son côté, Gauvain se harnachait avec soin. Ils se lancèrent alors l’un contre l’autre, et le choc mutuel fut si violent que les fûts des lances se brisèrent et volèrent en morceaux. Pourtant, les deux cavaliers avaient subi l’assaut sans dommage et étaient demeurés fermes sur leurs arçons. Mais voyant que sa lance était rompue, Gauvain tira vivement son épée et se porta avec fureur au-devant de son adversaire.
« Gauvain, dit alors Escanor, ce ne sont pas là les usages de mon pays. Si un chevalier a été assez présomptueux pour entreprendre un combat contre un autre, aucune épée ne doit être tirée avant que l’un d’eux n’ait été démonté. Tous deux doivent d’abord s’éprouver à la joute, et si leurs lances sont rompues, s’en faire apporter d’autres. Demandons à ce garçon, dont la monture est puissante et rapide, de retourner au château et de nous rapporter de quoi jouter jusqu’à ce que l’un de nous soit à terre. » Sans se faire prier, le jeune homme sauta en selle et s’en fut. Mais, en vérité, il ne se pressa guère, car il voulait retarder la bataille autant que possible jusqu’à la tombée de la nuit. Et pendant son absence, les deux chevaliers prirent leurs aises afin de se reposer.
Le jeune homme revint enfin au galop, chargé de six fortes lances, grandes et massives. L’une d’elles était d’une longueur et d’une grosseur exceptionnelles, avec une section carrée. Certes, le plus vaillant des chevaliers du royaume d’Arthur, si grand, si robuste et si aguerri qu’il fût, n’aurait pu, malgré la vigueur de son élan, la briser dans une joute. Gauvain considéra les lances, et une inspiration lui vint. « Va auprès du chevalier, dit-il au jeune homme, et apporte-lui de ma part ces six lances. Qu’il choisisse les trois qu’il préfère. Tu me rapporteras les autres, car je veux lui laisser le choix. Ainsi ne pourra-t-on prétendre que je me sois réservé les meilleures. »
Le jeune homme obéit et, s’en allant trouver Escanor, lui présenta le lot de lances et le pria, de la part de Gauvain, d’en sélectionner trois et de renvoyer les trois autres. Escanor les examina toutes soigneusement, prit les plus épaisses, et rendit les autres au jeune homme. Il le pria instamment de remercier Gauvain, en son nom, pour ce
Weitere Kostenlose Bücher