Gauvain
du mortier. Seule une petite poterne fut épargnée. Toutefois, la porte n’en était pas de bois d’aulne, mais bien de cuivre, et renforcée par une barre de fer si lourde qu’elle équivalait pour le moins à la charge d’une charrette.
Cependant, faute de pouvoir trouver d’autre voie ou d’autre sentier avant sept journées de marche, Gauvain était obligé d’approcher la forteresse. Quand il vit la poterne fermée, il entra dans un pré clos de pieux que surplombait exactement la tour. Il mit alors pied à terre sous un chêne et pendit son bouclier dans l’arbre, afin que ceux qui se trouvaient dans le château le vissent et ne pussent se méprendre sur ses intentions.
Dans le château, il ne manquait pas de gens pour se réjouir qu’il eût renoncé au tournoi. Mais quelqu’un jugeait différemment, un vieux vavasseur, riche en terres, puissant de lignage, fort avisé et dont chacun sollicitait les conseils : quand il avait donné une opinion, on la prenait au sérieux, quelle qu’en fût la teneur. Or, comme on lui avait montré de loin l’homme qui s’était installé dans le pré, il alla trouver Tiebaut et lui dit : « Seigneur, je viens d’apercevoir un chevalier qui campe sous nos murs. Je le crois compagnon du roi Arthur. Il ne faut pas négliger ce détail : il suffit parfois d’un homme isolé, mais valeureux et puissant, pour décider de la victoire dans un combat. Je te conseille donc de participer au tournoi. M’est avis que tu peux le faire en toute sécurité. Tu as de bons chevaliers et, en outre, de bons sergents, ainsi que de bons archers qui peuvent tuer les chevaux de tes adversaires. Je sais que ceux-ci viendront chercher le combat devant cette porte. Mais si leur orgueil les y pousse, c’est à leurs risques et périls, car c’est nous qui aurons le gain, et eux la perte et le dommage. »
Tiebaut écouta attentivement le vavasseur et lui laissa pleine liberté d’agir à son gré. Le vavasseur dit aux assistants que ceux qui le souhaitaient pouvaient s’armer et sortir des murailles. Les chevaliers s’en réjouirent grandement. Leurs écuyers coururent aux armes et se mirent en devoir de seller les chevaux. Les dames et les jeunes filles allèrent s’asseoir au sommet de la tour afin de bien voir le tournoi. Au-dessous d’elles, elles aperçurent bien le harnois de Gauvain, et s’en émerveillèrent. « Dieu ! s’exclama l’une d’elles, que ce chevalier a fière allure ! On ne peut douter qu’il n’accomplisse aujourd’hui quelque action d’éclat ! D’où vient-il ? Qui est-il ? Mais s’il est là, c’est qu’il entend se distinguer, il n’y a pas lieu d’en douter ! »
Tandis qu’elles devisaient de la sorte, les chevaliers sortaient de la forteresse, et la fille de Tiebaut, l’aînée, pour qui le tournoi devait se faire, vint prendre place sur la tour parmi ses compagnes. Près d’elle se tenait sa sœur cadette, qui portait des manches si étroites et si originales qu’elles semblaient peintes sur ses bras et que tout le monde l’avait surnommée la Fille aux petites manches. À ce moment, sa sœur aînée aperçut Méliant de Liz qui survenait, suivi d’une troupe de chevaliers qui avaient fière allure et dont le harnachement était somptueux. « Dames, dit-elle, jamais aucun chevalier ne m’a autant plu que Méliant de Liz. Je vous le dis en toute franchise, n’est-ce pas une pure joie que de voir si bon chevalier ? Regardez comme il est ferme sur sa selle, et avec quel art il tient sa lance et son bouclier : à l’évidence, il saura s’en servir ! »
Mais sa cadette, à ses côtés, ne semblait guère de cet avis. « Je sais plus beau que ton Méliant ! », dit-elle. L’autre, furieuse, bondit pour la frapper, et il fallut, pour éviter l’affrontement, que les dames retinssent les deux sœurs.
Cependant, le tournoi commençait. De nombreuses lances furent rompues, de nombreux coups d’épée furent assenés, de nombreux cavaliers furent abattus. Mais, entre tous, Méliant de Liz semblait ne craindre aucun rival : sa lance avait tôt fait d’envoyer l’adversaire à terre, et nul, dans un camp ni dans l’autre, ne le pouvait surpasser. Son amie jubilait, au comble de l’allégresse : « Dames ! s’écria-t-elle, qu’en dites-vous ? Vîtes-vous jamais semblable merveille ? Ah ! voilà bien le meilleur chevalier qui se soit montré à vos yeux ! De tous ceux qui participent au tournoi, il
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