Gauvain
certain, j’en prends Dieu à témoin, que tu étais l’homme dont le corps avait été mis en pièces. Je sais maintenant qu’on avait pris pour toi le chevalier ici présent, que je connais bien et qui se nomme Courtois de Huberlant. Jamais on ne vit meilleur compagnon que lui, et je suis tout heureux de le voir ainsi sain et sauf ! » Puis le jeune homme raconta tout ce qui lui était arrivé, et chacun s’extasia sur les pouvoirs que possédait l’Orgueilleux Faé.
Cependant, Gauvain ne voulait pas s’attarder. Malgré les prières du jeune homme et des trois jeunes filles, il invita ses compagnons à se remettre en selle. Et ils s’en vinrent tout droit à Kaerlion sur Wysg à l’heure même où l’on préparait le souper. On avait déjà annoncé au son du cor le service de l’eau, et les convives étaient à table. C’est alors qu’un guetteur vint annoncer le retour de Gauvain. Le roi s’en réjouit, ainsi que tous ceux de sa cour. Ils s’élancèrent tous au-devant de Gauvain et, dès qu’il aperçut son neveu, Arthur l’embrassa tendrement avant de l’entraîner à la table vers la meilleure place. Et c’est ainsi que, pendant tout le repas, Gauvain fit le récit détaillé des aventures qu’il avait vécues depuis son départ. Enfin, cette nuit-là, il put prendre un repos mérité {15} .
4
Les Errances décevantes
Quelques jours plus tard, sur la grande prairie qui s’étendait devant Kaerlion sur Wysg, le roi Arthur se reposait à l’ombre d’un bosquet, en compagnie de la reine Guenièvre, du sénéchal Kaï, du roi Bohort, d’Yvain, fils du roi Uryen, de son neveu Gauvain et de ses frères Gahériet et Agravain. Un barde, s’accompagnant à la harpe, chantait les exploits des ancêtres, au temps où les hommes de ce pays luttaient contre les géants qui voulaient étendre leur domination sur toutes les îles qu’empourpre le soleil couchant. Le barde s’étant interrompu, on servit à boire, car il faisait très chaud. Et chacun devisait joyeusement quand un cavalier surgi de la forêt au triple galop fonça droit vers la petite assemblée, s’arrêta juste devant elle puis, sautant à bas de son cheval, vint saluer le roi. Arthur le connaissait bien : c’était Guinganbrésil, un hardi chevalier, fils du roi d’Escavalon, qui avait jadis mené une lutte acharnée contre lui, refusant obstinément de reconnaître son autorité sur tout le royaume de Bretagne.
Guinganbrésil se planta ensuite avec arrogance devant Gauvain et l’interpella de façon que tout le monde pût entendre : « Gauvain ! je te défie ! Moi, Guinganbrésil, fils du roi Maelgwn, je suis le frère des jeunes filles qui ont demandé ta tête et ton corps aux deux chevaliers qui sollicitaient leur amour. Sur la foi de fausses nouvelles, nous nous sommes réjouis de ta mort, mais il s’est avéré qu’un autre avait péri à ta place. Aujourd’hui, mes sœurs sont au désespoir de te savoir encore en vie. Sache, Gauvain, que tu as tué mon père, le roi Maelgwn, et ce par traîtrise, l’ayant attaqué sans une parole de défi. Lâche que tu es, tu devras me répondre de ce forfait ! Et que tous les barons réunis ici sachent bien que je n’ai pas menti d’un mot ! Tu es un traître et je le prouverai ! »
Interloqué mais quelque peu honteux, Gauvain se levait quand son frère, l’orgueilleux Agravain, sauta brusquement sur ses pieds et le tira par le bras : « Frère, dit-il, pour l’amour de Dieu, ne tolère pas que l’on injurie ton lignage ! De l’opprobre dont on te couvre, je te laverai bien, je te le promets ! » Gauvain secoua son bras auquel s’agrippait Agravain. « Frère, dit-il, tu es trop prompt à la colère. Nul ne me défendra que moi-même. Autant que je sache, je suis le seul qu’il ait nommé, et tu n’as rien à voir dans cette affaire. D’ailleurs, si je me sentais un tort quelconque envers lui, je n’hésiterais pas à lui demander de m’accorder sa paix et à lui offrir la compensation que ses amis et lui pourraient exiger. Mais comme il n’y a pas un mot de vrai dans ce qu’il raconte et qu’il a passé la mesure, je suis prêt à me défendre par les armes, ici et tout de suite s’il le désire, ou ailleurs et quand il lui conviendra.
— Je le tiens pour acquis, dit Guinganbrésil. Si, d’ici quarante jours, tu ne m’as pas rendu raison, ce délai une fois passé, je te ferai déclarer félon et traître devant la cour du roi
Weitere Kostenlose Bücher