Gauvain
aussi en ta propre faveur que je t’ai fait cette demande, car ma sœur n’a cessé de te déprécier, te traitant de marchand déguisé, et ce pour mieux vanter les mérites de Méliant de Liz. J’ai eu l’audace de prétendre qu’il existait meilleur chevalier que Méliant, et je pensais à toi. Sur quoi, ma sœur m’a traitée de folle et de chipie et m’a prise aux cheveux. Honni soit qui l’approuverait ! Je laisserais volontiers couper mes tresses jusqu’au ras de la nuque, à mon grand dam, assurément, si j’obtenais par-là que ce chevalier-ci abattît dans la mêlée Méliant de Liz. Voilà qui mettrait fin aux cris d’extase de ma sœur. Elle n’a cessé, avec son Méliant, de nous rebattre les oreilles toute la journée, au point d’en fatiguer toutes les dames. Mais, patience ! petite pluie peut abattre grand vent ! »
Devant tant de véhémence, Gauvain ne put s’empêcher de rire. « Belle, dit-il, il est inutile que tu sacrifies tes cheveux. Je combattrai pour toi demain. Accorde-moi seulement une faveur, celle de porter sur mon armure quelque chose qui t’appartienne, l’une de tes manches, par exemple. – Bien volontiers, seigneur », répondit-elle. Et, à l’instant, elle détacha l’une de ses manches et la tendit à Gauvain. Alors, elle prit congé et suivit son père qui regagnait sa demeure.
Le lendemain, quand survint l’heure, les chevaliers s’armèrent et s’assemblèrent hors de la ville, tandis que les dames et les jeunes filles montaient à la tour. Sous leurs yeux, les preux combattants s’avancèrent, ligne contre ligne. À la tête des siens, arrivait au galop Méliant de Liz et, en le voyant, son amie ne put tenir sa langue : « Dames, cria-t-elle, voyez venir celui qui, de toute chevalerie, est le maître reconnu ! » Au même moment, Gauvain lança son cheval à toute allure contre Méliant. Celui-ci, le redoutant fort peu, ne se méfiait guère. Mais Gauvain le frappa si habilement que, tout étourdi par le coup, il s’en alla rouler à terre. Gauvain tendit la main vers son cheval, le prit par le frein et le remit à un valet qu’il pria de le mener vers celle pour qui il participait au tournoi. Il voulait ainsi lui offrir son premier gain du jour. Le valet conduisit le cheval tout harnaché à la jeune fille, qui, du haut des remparts, avait bien vu Méliant de Liz mordre la poussière. « Ma sœur, dit-elle, vois-tu ce que je vois ? Regarde bien Méliant de Liz dont tu faisais un tel éloge ? Tu sais merveilleusement mesurer les louanges au mérite ! Mais il est bien clair que j’avais raison hier : Méliant de Liz a trouvé son maître, et il n’est pas le meilleur chevalier du monde ! »
La jeune fille prenait un malin plaisir à taquiner sa sœur, et elle alla si loin qu’elle réussit à la mettre hors d’elle. « Chipie ! cria-t-elle, tais-toi. Si je t’entends encore prononcer un mot, je te gifle de telle sorte que tu en perdras le sens ! – Fi donc, ma sœur, insista l’effrontée, qu’il te souvienne de Dieu ! Est-ce parce que je t’ai dit la vérité que tu veux me frapper ? Je l’ai sûrement vu abattre, et toi aussi, tout comme moi. Et je ne crois pas qu’il ait même la force de se relever. Le tournoi est perdu pour lui. Et quand bien même tu devrais étouffer de rage, je dirai qu’il n’est ici dame qui ne le voit distinctement, étendu tout à plat et agitant piteusement ses jambes. » Si les dames ne les avaient séparées, les deux sœurs se fussent écharpées. Et c’est à ce moment-là que l’écuyer s’approcha de la cadette pour lui faire part du don de Gauvain. Avec mille remerciements, elle accepta le cheval, toute fière de sa revanche et pleine d’admiration pour le chevalier qui portait ses couleurs.
Cependant, Gauvain continuait à jouter. Il n’y eut chevalier si fier et si sûr de lui qui, faisant connaissance avec sa lance, ne dût bientôt vider les étriers. Plus qu’il ne l’avait jamais fait, Gauvain s’adonna au plaisir de conquérir des destriers. Et, chaque fois, il se faisait une joie de les donner aux dames qu’il voyait sur le haut des remparts, afin de rendre hommage à leur beauté et à leur sagesse.
Quand le tournoi fut terminé, chacun reprit le chemin de son logis. Dans un camp comme dans l’autre, au jugement de tous, Gauvain était le vainqueur. Aussi, lorsqu’il regagna l’hôtel du vavasseur, fut-il suivi d’une foule de chevaliers qui vantaient ses
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