Gauvain
fille était fort belle et de bonne compagnie.
Le lendemain, ils se levèrent alors que le soleil était déjà haut sur l’horizon. Ils passèrent la journée dans le manoir à se reposer et à deviser. Le soir, Gauvain prit la parole et, la mine sombre et soucieuse, parla en ces termes à Tristan : « Cher hôte, dit-il, toi qui es si noble et si bienveillant, tu connais maintenant notre histoire et le détail de nos errances. Tu sais également qui je suis. Mais, à présent, je voudrais que nous soit présenté dans sa châsse le bras que tu nous as montré, si ma mémoire est bonne, le soir où nous avons logé chez toi. » Tristan regarda alors l’Orgueilleux Faé. « Seigneur, dit celui-ci, ses prétentions sont légitimes. Nous sommes convenus de la chose suivante : il me tiendra quitte de mon crime si je puis le réparer en rendant la vie et la santé au corps dont je t’ai confié un bras, puis si je me montre capable de redonner la vue au jeune homme que j’ai aveuglé. C’est ce à quoi je me suis engagé au terme de notre combat, et Gauvain l’a accepté. – S’il en est ainsi, dit Tristan, comment rien vous refuser ? » Il ordonna donc d’apporter le reliquaire. L’Orgueilleux Faé entreprit de l’ouvrir et, prenant le bras, le déposa près de la tête qu’il avait apportée, et du corps que Gomeret sans Mesure avait conservé dans une peau de cerf. L’Orgueilleux Faé passa alors sa main sur ces tristes débris et, à la stupeur générale, le cadavre revint à la vie, frémissant et intact comme si rien ne s’était passé. Le chevalier ainsi ranimé se souleva sur son séant, salua l’assistance médusée et raconta comment il avait rencontré l’Orgueilleux Faé et Gomeret sans Mesure dans le bois, comment ils s’étaient rués sur lui, comment il s’était défendu, comment il était mort sans s’en rendre compte et comment il était ensuite resté en repos. Gauvain s’émerveilla fort de son récit et se signa devant l’étonnante aventure. Quant à Tristan, témoin de la merveille, ainsi que toute sa maisonnée, il prit l’Orgueilleux à part et lui demanda qui lui avait fait don d’un tel pouvoir.
« Je ne comprends pas moi-même, répondit-il. Ma mère, jadis très liée avec Morgane, sœur du roi Arthur, si experte en magie, prétend que celle-ci vint la voir alors que je venais de naître. Elle m’a conté que Morgane avait prononcé sur moi des incantations, me promettant des pouvoirs qu’aucun être humain ne pouvait posséder. De fait, je sais que j’ai le pouvoir de tuer sans tuer, c’est-à-dire que la mort ou les blessures que j’inflige ne sont pas définitives et que, dans certaines conditions, le flux qui sort de ma main droite me permet d’effacer les actes de violence que j’ai commis. »
Cependant, Gauvain avait le sentiment que tout n’était pas accompli. Il voulait retourner au plus vite à la cour d’Arthur, mais auparavant, il lui fallait songer à retrouver le jeune homme aveuglé afin que l’Orgueilleux pût lui rendre la vue, comme il l’avait promis. Le lendemain matin, ils se remirent donc en route, et chevauchant sans obstacle, parvinrent au bout d’un certain temps dans la forêt où l’Orgueilleux Faé avait crevé les yeux du jeune homme. À force de s’enquérir des jeunes filles qui avaient assisté au drame, Gauvain finit par les retrouver. Leur manoir était dans la forêt. La tristesse et l’amertume y régnaient, à cause de la mort de Gauvain : tous étaient en effet persuadés qu’il avait été tué et son corps démembré. Gauvain leur révéla d’abord son identité et, à cette nouvelle, elles manifestèrent une grande joie. Ensuite, il leur demanda comment allait le jeune homme.
« Seigneur, répondit l’une d’elles, comme quelqu’un qui ne voit plus ni le ciel ni la terre. – Allez le quérir, dit Gauvain, et menez-le-moi au plus vite. » Elles s’empressèrent d’aller trouver le jeune homme et, le tenant par la main, elles le conduisirent auprès de Gauvain. Le malheureux avait fort belle allure, malgré son infirmité, et Gauvain fut bouleversé de le voir. Alors il dit à l’Orgueilleux : « Tiens ta promesse. » Sans hésiter, l’Orgueilleux passa sa main le long du visage du jeune homme et, instantanément, celui-ci recouvra la vue. Dès qu’il porta les yeux sur Gauvain, il le reconnut. « Ah, seigneur, dit-il avec une grande douceur, sois le bienvenu ! J’étais pourtant
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