Gauvain
perdit pas de temps. Il monta à cheval et se dirigea vers la maison qui hébergeait Gauvain. Mais, en voyant son père partir, la cadette se glissa par une porte de derrière afin de n’être point vue et, tout en courant, se précipita vers l’hôtel du vavasseur. Celui-ci venait juste de sortir pour aller, ainsi qu’il en était coutume, parler avec son seigneur. Il se trouvait à mi-chemin quand il le rencontra et lui demanda où il allait. « Chez toi, m’y distraire un moment, répondit Tiebaut. – Voilà qui n’est pas pour me déplaire, dit le vavasseur, et tu pourras y voir le plus beau chevalier du monde. – C’est à son propos que je viens, autant te dire la vérité, mais non pour m’entretenir avec lui. Je veux l’appréhender pour qu’il paye sa fourberie, car c’est un marchand ou un changeur qui se donne pour chevalier. » Le vavasseur marqua son étonnement. « Voilà des paroles bien laides ! dit-il. Je suis ton homme, et tu es mon seigneur mais, en mon nom et au nom de tout mon lignage, je reprendrai plutôt mon hommage ici même que de te permettre en mon hôtel pareille déloyauté ! »
Tiebaut fut bien embarrassé, car s’il faisait saisir l’hôte du vavasseur, lui seul en porterait la honte. « Allons, dit-il enfin, je parlais en l’air ! J’en atteste Dieu, jamais ton hôte et ton hôtel ne connaîtront par ma faute le déshonneur, quoique, je le confesse, on m’ait conseillé le contraire. – Grand merci, dit le vavasseur. Tu m’honores moi-même en venant voir mon hôte. »
Ils arrivèrent de concert au logis de Gauvain. Quand il les vit, Gauvain, en courtois chevalier qu’il était, se leva, les salua et leur souhaita la bienvenue. Ils le saluèrent à leur tour et s’assirent près de lui dans la grande salle. Tiebaut de Tintagel lui demanda pourquoi, dès son arrivée sur le lieu du tournoi, il s’était tenu toute la journée à l’écart du combat. « Seigneur, répondit Gauvain, je ne nie pas qu’il n’y ait quelque chose de laid et de blâmable dans mon attitude, mais sache qu’un chevalier qui m’accuse de trahison m’a provoqué en duel. Je ne peux me dérober, et je dois me défendre contre lui dans une cour royale.
— L’excuse est bonne, convint Tiebaut, et te voici innocenté. Mais où se déroulera la rencontre ? – Seigneur, devant le roi d’Escavalon, et je vais à sa cour par la route la plus directe, ce me semble ! – Certes, et je te donnerai une escorte pour t’y mener plus sûrement. En outre, comme il te faudra traverser des terres bien pauvres, je te fournirai des vivres et des chevaux pour les porter. » Gauvain déclina poliment cette offre en arguant qu’il pourrait toujours acheter des vivres, quelque route qu’il empruntât. Et, après avoir conversé quelque temps encore, Tiebaut se leva pour partir. C’est à ce moment que la plus jeune de ses filles, entrant tout essoufflée dans la grande salle, alla se jeter aux genoux de Gauvain.
« Beau seigneur, dit-elle, écoute-moi. Je viens à toi me plaindre de ma sœur qui m’a battue ! Je te prie de me faire rendre justice ! » Tiebaut, qui avait déjà pris congé, entendit ces paroles et se retourna : « Fille, dit-il, qui donc t’a permis de venir importuner ce chevalier ? » Gauvain s’étonna : « C’est donc là ta fille, seigneur ? – Ma plus jeune, en effet. Mais ne lui tiens pas rigueur de son comportement. C’est une enfant très simple et très étourdie. – Cependant, dit Gauvain, je serais bien peu courtois si je refusais de l’entendre. Dis-moi, douce enfant, quelle justice pourrais-je obtenir de ta sœur, et comment le ferais-je ? – Seigneur, demain seulement, s’il te plaît, pour l’amour de moi, viens combattre au tournoi. – Réponds-moi franchement : as-tu déjà prié un chevalier de venir à ton aide ? – Non, cher seigneur, c’est la première fois.
— Laisse-la babiller à son aise, dit le père, mais ne t’en soucie pas. Il est inutile que tu perdes du temps avec ses caprices ! » Cependant, Gauvain était fort amusé de la situation, et il admirait la douceur et l’obstination de la jeune fille. « Seigneur, cette enfant a du caractère, et j’aime cela. Je ne vois pas pourquoi je refuserais sa requête. Puisqu’il lui plaît, je serai demain, pour un moment, son chevalier. Je porterai ses couleurs au tournoi. » La jeune fille ne se tenait plus de joie. « Merci, seigneur chevalier. Et c’est
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