Gauvain
servi en tout point. Qu’il ait tout ce qu’il désire, montre-toi large, franche et généreuse. Penses-y, tandis que je vais rejoindre ton frère dans le bois. » Et, sur ce, il les quitta, laissant Gauvain seul avec la jeune fille, qui était d’une étourdissante beauté.
Celle-ci parut ravie de l’événement. « Béni soit celui qui m’envoie si agréable compagnie ! s’écria-t-elle. Beau seigneur, viens t’asseoir près de moi, je te vois beau, noble, et, pour l’amour de mon frère qui m’en prie, je te ferai bonne compagnie. » Gauvain s’assit près d’elle. Plus le temps passait, plus il la trouvait belle et tentante. Elle était d’une grande douceur, et si bien apprise qu’elle ne songeait même pas à s’inquiéter qu’on les guettât ou non. Ils se mirent à parler d’amour et commencèrent à se blottir l’un contre l’autre. Gauvain, qui se sentait de plus en plus échauffé, la pria de lui accorder ce qu’une femme peut offrir à un homme qu’elle aime. Elle ne le repoussa pas, loin de là, et aux baisers succédèrent les caresses, celles-ci devenant de plus en plus ardentes.
C’est alors qu’entra un vavasseur, et celui-ci reconnut immédiatement Gauvain. Les ayant surpris en pleine transe amoureuse, il ne put se contenir : « Femme, honnie sois-tu de te conduire comme une putain ! s’écria-t-il avec colère. Tu accueilles allégrement l’homme que tu devrais le plus haïr au monde, et tu lui permets les baisers les plus pervers et les caresses les plus audacieuses ! Maudite sois-tu ! »
Il tourna le dos et s’élança au-dehors avant que Gauvain eût pu articuler une syllabe. La jeune fille tomba évanouie et resta étendue sur les carreaux. Gauvain la releva, livide du saisissement qu’elle avait éprouvé. Quand elle fut quelque peu revenue à elle, elle s’écria : « Ah ! nous sommes perdus ! Je mourrai aujourd’hui pour toi, bien injustement, et toi aussi, je crois, tu mourras pour moi. La commune de cette ville va accourir, je n’en doute point. Ils seront bientôt plus de dix mille massés devant cette tour. Mais il y a des armes ici, et je te les donnerai sur-le-champ. Un seul brave pourrait tenir cette tour contre une armée entière. » Sans perdre un instant, elle courut chercher une armure et quand elle l’en eut revêtu, ils se sentirent plus en sécurité, elle et lui, sauf que le malheur voulut qu’elle ne trouvât pas de bouclier. Mais Gauvain saisit un échiquier. « En voici un ! s’écria-t-il, je n’aurai besoin de nul autre ! »
Au sortir de la tour, le vavasseur avait trouvé, assis côte à côte, des voisins, le maire, les échevins et toute une troupe de bourgeois, si gros et si gras que l’on peut affirmer sans crainte que le poison n’entrait pas dans leur nourriture. Il courut à eux et leur expliqua ce qui se passait. Aussitôt, les uns et les autres se précipitèrent, au comble de la fureur. Ils ne furent pas longs à trouver des haches, des piques et des madriers. Le crieur cria le ban, et tout le peuple s’assembla. Les cloches de la commune sonnèrent afin que ne manquât personne à l’appel. Et, de fait, ce fut une horde hurlante qui s’assembla au bas de la tour.
La jeune fille voulut aider Gauvain de son mieux. Elle se mit à la fenêtre et cria très fort pour être entendue de tous : « Hou ! hou ! Canailles, chiens enragés, serfs de malheur, quels diables vous ont mandés ! Que voulez-vous ? Puisse Dieu ne jamais vous donner de joie ! J’en atteste Dieu tout-puissant, vous n’emmènerez pas le chevalier qui est ici, ou bien bon nombre d’entre vous resteront sur le carreau, morts ou mis à mal. Le chevalier n’est pas entré ici, tel un oiseau, par la voie des airs ; il n’a pas pénétré par un passage souterrain : c’est mon frère qui me l’a envoyé comme son hôte et m’a priée de le traiter le mieux possible. Que me reprochez-vous ? Comment osez-vous tirer vos épées contre moi ? Vous ne savez même pas pourquoi. Du moins, si vous le savez, ne m’en avez-vous rien dit. Sachez-le, vous m’avez indignement outragée ! »
Mais la meute ne l’écoutait pas. Déjà on entendait les coups de hache contre la porte. Mais le portier, qui veillait au-dedans, sut bien leur barrer le passage. Il assena un tel coup au premier qui se présenta que les autres sentirent leur zèle se refroidir. Nul n’osa plus s’y aventurer, chacun craignant pour sa propre vie. Quant à
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