Gauvain
mérites et voulaient apprendre qui il était et de quel pays. Devant la porte du logis se tenait la Fille aux petites manches. Elle lui saisit l’étrier et dit simplement : « Seigneur, merci de tout mon cœur. – Jeune fille, répondit Gauvain, si je cesse de te servir un jour, c’est que je serai bien vieux et bien chenu. Sois certaine que chaque fois que tu te trouveras dans la nécessité et que tu me le manderas, j’accourrai à ton aide. » La jeune fille, fort émue, ne sut plus quoi dire.
C’est alors que survint Tiebaut de Tintagel qui, tout joyeux, voulait absolument retenir le chevalier chez lui. Mais Gauvain ne voulait pas s’attarder davantage et s’en excusa courtoisement. Tiebaut le pria alors de lui révéler son nom. « Seigneur, répondit-il, on m’appelle Gauvain, fils du roi Loth d’Orcanie, et je suis de la Table Ronde. » À ces mots, Tiebaut fut encore plus joyeux, et il insista pour que Gauvain acceptât son hospitalité. Mais Gauvain demeura intraitable : il lui fallait reprendre son chemin vers la cour d’Escavalon.
La Fille aux petites manches, qui n’était ni sotte ni méchante, lui baisa le pied et le recommanda à Dieu. Il s’en étonna un peu, mais elle lui déclara que, si elle lui avait baisé le pied, c’était dans l’intention qu’il en conservât le souvenir en quelque lieu qu’il se pût trouver. « N’en doute pas, douce amie, lui dit Gauvain. En quelque lointain pays que je me puisse trouver, jamais je ne t’oublierai. » Et, prenant congé de son hôte, le vavasseur, et de tous ceux qui étaient là, il piqua des deux et sortit de la forteresse.
Le lendemain, au milieu de l’après-midi, le trouva en vue de la cité d’Escavalon. Il s’en approcha rapidement et, parvenu à la grande porte de la ville, en vit sortir tout un cortège qui s’engageait sur la chaussée. En tête, marchaient des gens court vêtus, garçons à pied menant des chiens, puis des piqueurs portant des épieux tranchants, ensuite des archers et des sergents bien munis d’arcs et de flèches, et qui précédaient un flot de chevaliers ; enfin, derrière tous les autres, deux chevaliers montés sur de magnifiques destriers. L’un paraissait très jeune, et il était d’une grande beauté. Lui seul salua Gauvain et alla le prendre par la main. « Seigneur chevalier, dit-il, je te retiens. Va donc d’où nous venons et descends en mon hôtel. Il est l’heure de songer à ton logis pour cette nuit. J’ai une sœur, la plus courtoise de toutes les femmes, qui se fera une grande joie de t’accueillir. Ce seigneur qui est avec moi te mènera. » Et, se tournant vers son compagnon : « Prends avec toi ce noble chevalier et conduis-le jusqu’à ma sœur. Tu la salueras d’abord, puis tu lui diras de prendre soin de celui que j’ai invité. Qu’elle le traite comme elle me traiterait, moi qui suis son frère. Qu’elle reste auprès de lui et s’occupe de le distraire jusqu’à notre retour. Je reviendrai le plus tôt possible. »
Rebroussant donc chemin, le second chevalier conduisit Gauvain à l’intérieur de la cité. Gauvain se demandait comment cette aventure allait tourner, car il savait bien que tous les gens du lieu le haïssaient mortellement. Mais personne ne le reconnaissait, et il parcourut sans encombre les rues de la ville. Celle-ci, située sur un bras de mer, était peuplée de beaux hommes et de belles femmes. Les tables des changeurs étaient couvertes de pièces d’or, d’argent, et de menue monnaie. Les places et les rues foisonnaient de bons ouvriers qui s’appliquaient aux métiers les plus variés : ici, l’on fabriquait des heaumes et des hauberts, là, des selles et des harnachements, ailleurs, des boucliers et des éperons ; ceux-ci fourbissaient des épées, ceux-là tissaient des draps ou les foulaient, d’autres fondaient l’or et l’argent, ailleurs encore, on fabriquait de belles et riches vaisselles, des coupes, des écuelles et des émaux précieux. On eût dit que dans cette ville se tenait une foire perpétuelle, tant elle regorgeait de richesses et de marchandises diverses.
Ils parvinrent enfin à une tour des mieux bâties. Des valets s’en élancèrent au-dehors, qui prirent aussitôt soin des chevaux. Le chevalier entra le premier, suivi de Gauvain, et le mena droit vers la chambre de la jeune fille. « Belle amie, dit le chevalier, ton frère te salue et te prie que le seigneur que voici soit honoré et
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