Gauvain
constate que tu manques singulièrement de manières à mon égard. » Elle se mit à ricaner : « Et tu en es tout froissé ! dit-elle. Tu m’en vois d’autant plus heureuse. » Méraugis commençait à s’impatienter sérieusement : « Tais-toi, dame, s’écria-t-il, et ne m’englue pas de belles paroles, ou je me verrai dans l’obligation de te manquer de respect. Ne sois pas si arrogante. Je te pardonne volontiers l’humiliation que tu m’as infligée, mais à condition que tu rendes immédiatement son cheval au nain qui est mon compagnon et que je protège.
— Veux-tu que je te considère comme mon ami ? demanda la vieille. – Certainement, je ne demande pas mieux, répondit Méraugis. – Alors, dit-elle, ne me parle plus jamais de cela. Car jamais, à moins de recourir à la violence, tu ne pourras emmener ce cheval. D’ailleurs, prends-le par la force, et tu seras déshonoré, pour t’être attaqué au grand âge. Toutefois, si tu y tiens, je peux t’indiquer un moyen de récupérer ce cheval : fais ce que je te demande et je te le rendrai sans retard. Vois-tu là-bas cette tente dressée sous un frêne ? Vois-tu ce bouclier qui est suspendu à l’arbre ? Eh bien, si seulement tu allais abattre ce bouclier pour moi, je n’opposerais nulle résistance, et tu pourrais t’emparer du cheval tout comme s’il t’appartenait. – Au nom de la femme que j’aime le plus au monde, répondit Méraugis, je ne manquerai pas de te satisfaire. »
Il prit alors son élan et, une fois arrivé devant l’arbre, il abattit le bouclier. Mais alors qu’il s’apprêtait à repartir, il entendit s’élever, depuis l’intérieur de la tente, des lamentations si déchirantes qu’il en eut le cœur brisé. Tandis qu’il écoutait ces plaintes, il vit, de l’autre côté de l’essart, la vieille femme rendre le cheval au nain, puis le quitter. Il s’élança alors sur son cheval rapide pour rejoindre le nain. Celui-ci, déjà en selle, s’apprêtait à partir. « Explique-moi, dit-il, comment je vais me couvrir de gloire et éviter la honte ! » Le nain lui répondit d’un ton acerbe et plein d’animosité : « Me trouvé je assigné à comparaître aujourd’hui devant un tribunal pour répondre à pareille question ? Que Dieu te protège, car l’explication te viendra en temps opportun. » Sur ce, il fouetta son cheval, l’éperonna et partit au triple galop. Il fut bientôt hors de portée, tandis que Méraugis, quelque peu surpris de son attitude et après l’avoir voué à tous les diables de l’enfer, décidait de retourner vers la tente plantée au milieu de la lande, afin de connaître la raison des lamentations qui en émanaient.
Une fois arrivé à la tente, il y pénétra et aperçut une jeune fille montée sur un mulet, et qui, dans sa main, tenait une lance. À terre, deux autres jeunes filles manifestaient un tel chagrin qu’on les aurait crues prêtes à se tuer. Sur ces entrefaites, Lidoine, qui s’inquiétait du sort de Méraugis, entra à son tour et, devant le deuil des jeunes filles, se mit à pleurer avec elles. Quand Méraugis vit son amie dans un tel état, il faillit en perdre la raison. « Que se passe-t-il ? demanda-t-il avec effarement. Pourquoi pleures-tu ainsi ? » Lidoine lui répondit : « Seigneur, je pleure parce que j’ai pitié de la douleur de ces femmes. Je comprends qu’elles se lamentent à propos de ce bouclier malheureusement abattu. Maudits soient les jours de la vieille qui t’a conseillé d’accomplir cet acte ! – Comment pourrait-il en être ainsi ? s’écria Méraugis. Était-ce donc un crime ? En tout cas, je n’avais nulle intention de commettre une mauvaise action. Et telle n’est sûrement pas la raison de leurs pleurs ! Il est d’ailleurs aisé de réparer la chose. » Il ramassa alors le bouclier et alla le replacer là où il était accroché. En voyant cela, la jeune fille montée sur le mulet lui dit : « Voilà le bouclier en meilleure place que sur le sol. On ne saurait rien te demander de plus. Tu t’es parfaitement acquitté de ta tâche. »
Méraugis entrevit qu’on se moquait de lui. « Maintenant, dit-il, je ne suis plus sûr de rien. Mais je croyais bien faire. – Vraiment ? dit la jeune fille. Eh bien, tu as parfaitement réussi. » Alors, elle fouetta son mulet, puis elle s’en alla, lance au poing, sans ajouter un seul mot. Dans la tente, effondrées, les deux autres jeunes filles
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