Gauvain
continuaient à pleurer et à se lamenter. « Va-t’en ! dirent-elles à Méraugis, et ne reviens plus jamais. » Elles recommencèrent de plus belle à pleurer, et Lidoine faisait de même. De plus en plus étonné de leur comportement, le chevalier ne put que murmurer : « Par Dieu tout-puissant, voici une bien étrange histoire ! C’est par ma faute qu’elles se désolent, j’en ai l’impression, mais j’ignore quelle est ma faute ! Suis-je maudit, que je sois la cause d’une telle affliction ? »
L’une des jeunes filles arrêta ses pleurs et lui répondit : « Seigneur chevalier, le chagrin que nous éprouvons, nous ne pourrions l’exprimer. Quant à celui de ton amie, c’est celui d’une femme qui pleure sur notre sort. Mais, bientôt, elle pleurera non plus sur le nôtre, mais sur le tien. » Méraugis s’emporta, cette fois. « Me voici menacé d’un danger que je ne connais même pas ! s’écria-t-il. J’ignore qui me poursuit et qui veut ma mort. Mais je ne vais pas rester inactif, car on me prendrait pour un lâche ! » Et, sans plus attendre, il se précipita dehors, décrocha le bouclier qu’il avait replacé sur l’arbre et le jeta violemment à terre. Aussitôt, les jeunes filles poussèrent des cris encore plus lamentables.
Méraugis rentra dans la tente. « Jeunes filles ! cria-t-il, que vous le vouliez ou non, je vous déclare que je coucherai ici cette nuit, n’en déplaise à quiconque. Et je verrai bien ce qu’il adviendra lorsque arrivera mon hôte inconnu ! – Cher seigneur, dirent les jeunes filles, nous ne voulons pas te refuser notre modeste hospitalité. Que tu partes ou que tu restes, cela nous est complètement indifférent, et nous n’accepterons aucun remerciement de ta part. Mais s’il t’arrive malheur, ne nous en tiens pas responsables. – Je n’en ai pas l’intention, dit Méraugis. Je veux simplement vous prévenir que, si votre maître vient ici, je le combattrai. » Il mit pied à terre. « Voici mon gîte, dit-il, et me le dispute qui l’ose. – Calme-toi, cher seigneur, lui dit Lidoine. – Soit, répondit-il, mais à condition que nous prenions du repos dans cette tente. Je dormirai avec mon épée près de moi, et je ne saurais supporter qu’un intrus vînt nous déranger dans notre sommeil. »
Il passa toute la nuit dans la tente, ainsi que Lidoine, et tous deux reçurent des deux jeunes filles l’accueil le plus agréable qui fût. Elles mirent tout ce qu’elles avaient à leur disposition pour les traiter en hôtes de marque. Mais nul ne vint provoquer Méraugis qui ne manqua pas d’en être perplexe. Son étonnement de la veille n’était rien auprès de celui qui le saisissait à présent. Cependant, il résolut, puisqu’il en était ainsi, de s’en aller immédiatement reprendre la quête entreprise afin de retrouver Gauvain. Une fois Lidoine éveillée et prête, il se rendit auprès des jeunes filles et prit congé. « Belles, leur dit-il, je ne sais que penser. Puisque personne n’est venu, je puis seulement m’en aller, mais je tenais auparavant à vous assurer de mon dévouement sans réserve au cas où je pourrais vous être utile. Mais, encore une fois, je vous prie, dites-moi la vérité : pourquoi toutes ces lamentations, et qui est le seigneur de ces lieux ? – Nous ne pouvons rien te dire, répondirent-elles, et du reste, tu le sauras bien assez tôt. » Sans insister, Méraugis leur dit adieu et s’en fut, en compagnie de Lidoine. Ils chevauchaient ainsi tous deux au milieu d’une grande forêt obscure quand, près d’un gué, ils virent se précipiter vers eux un chevalier qui montait sans éperons un cheval sans frein ni bride, qui ne tenait ni verge, ni baguette mais se contentait d’une lance et d’un bouclier. Comme Méraugis s’approchait, celui-ci s’écria : « Chevalier, ne va pas plus loin ! Si tu avances jusqu’au gué, tu devras sur-le-champ te battre ! »
Méraugis fit celui qui n’avait pas entendu et continua son chemin. L’autre baissa sa lance et l’attaqua violemment. Mais, d’un revers de bouclier, Méraugis le fit basculer à terre. Ils poursuivirent la lutte à pied, se donnant sans succès de bons coups d’épée. Le chevalier inconnu était très fort et très violent, et le combat se prolongea jusqu’au moment où Méraugis, faisant sauter l’épée des mains de son adversaire, le menaça d’un coup mortel s’il ne se rendait. « Grâce ! cria
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