Gauvain
le dire, reprit le nain avec une certaine arrogance, quoique je ne sache si cela te fera plaisir. Sûrement pas, mais peu importe : il faut te remettre en face des réalités. Ne te souviens-tu pas que Gauvain, accusé par Guinganbrésil d’avoir tué son père par trahison, a quitté la cour voilà déjà maintes semaines afin de laver son honneur ? Mais il ne s’agit pas que de cela. Ton neveu est à la recherche de la Lance dont la pointe saigne, et nul ne sait où il se trouve actuellement. Peut-être a-t-il péri dans une embuscade. Peut-être se morfond-il dans une lointaine prison. Et pendant ce temps-là, toi, roi Arthur, tu passes ton temps dans les réjouissances sans te préoccuper du sort de celui qui est le garant de ton royaume. Je sais bien que s’il était sain et sauf, il serait là aujourd’hui. Et s’il n’est là, c’est qu’un grave empêchement le retient. Aussi m’étonné-je, roi, que l’on puisse encore se réjouir dans cette cour !
— Hélas ! dit le roi, tu dis vrai. Certes, il aurait dû venir aujourd’hui, et je suis bien frivole de me réjouir ainsi en son absence ! » Arthur ne put retenir ses soupirs, et son visage changea de couleur. Il se maudissait en lui-même de son insouciance. Le chagrin envahit tous ceux qui, un instant avant, s’amusaient follement. Une angoisse mortelle étreignit le roi à la gorge. « Ami, dit-il au nain, ne me cache rien : Gauvain est-il sain et sauf, ou bien est-il prisonnier ? – Ce n’est pas moi qui te dirai s’il est vivant ou mort, répliqua le nain. Mais m’est avis que pour le savoir, il n’est qu’une solution, c’est, s’il s’en trouve d’assez hardi en cette cour, qu’un chevalier parte à sa recherche et s’enquière de son sort ! De la sorte, tu aurais de ses nouvelles. – Tout cela est bien joli, objecta le roi, mais, en admettant qu’un de mes compagnons veuille partir à sa recherche, où penses-tu qu’il retrouverait sa trace ? – Ce n’est pas difficile, dit le nain, à l’ Esplumoir Merlin {20} .
— Ah ! dit Arthur, si seulement Merlin se trouvait là pour nous donner la clef de tous ces mystères ! L’ Esplumoir Merlin ! C’est sans doute là qu’il se cache, au fond de la forêt de Brocéliande. Il se cache, mais il nous observe et il sait tout ce que nous faisons. Mais où est donc cet Esplumoir Merlin ? – Personne ne le sait, répondit le nain. Mais je peux t’affirmer une chose : si nul n’y va, c’en est fini de Gauvain. On n’en entendra jamais plus parler. Mais avant qu’un chevalier se fasse fort d’entreprendre cette quête, je le préviens : s’il n’est le plus audacieux, je lui conseille de n’y plus songer. – Pourquoi ? demanda le roi. – Fût-il le meilleur chevalier du monde, je n’oserais cependant assurer qu’il puisse un jour revenir dans ce royaume. Je puis toutefois garantir qu’il se couvrira de gloire et qu’il se fera grande renommée. Maintenant, roi, je serais fort curieux de savoir lequel de tes compagnons de liesse acceptera d’aller chercher des nouvelles de ton neveu, le beau chevalier tant aimé des dames et des jeunes filles. »
À ces mots du nain, le roi jeta un regard circulaire. Mais il fut fort désappointé de constater que ses compagnons se taisaient et faisaient semblant de regarder ailleurs. Il en fut même très peiné, car, il le savait, Gauvain était aimé de tous. Mais personne, là, ne paraissait disposé à tenter l’aventure. C’est alors que Méraugis se leva et dit : « Seigneur roi, si ma dame le permet, son chevalier partira pour cette quête. Prie-la donc d’accepter. – C’est inutile, intervint Lidoine. Il n’est nul besoin de m’en prier, car c’est une grande joie pour moi que Méraugis se lance dans cette quête. Et comme il n’en est, à mes yeux, que plus estimable, j’ai grande envie de l’accompagner moi-même dans ce voyage, à condition qu’il respecte nos conventions. » Méraugis lui réitéra son serment. « Que te dire de plus ? ajouta-t-il. Ordonne seulement, je ne te refuserai rien. »
Le roi se réjouit fort de la décision de Méraugis et du consentement de Lidoine. « Voici un accord parfait, dit-il. Ce que dit Lidoine témoigne d’une grande noblesse et Méraugis parle en généreux chevalier. Comme ils partent sans hésiter, je puis affirmer que cela leur portera bonheur. Allez, mes amis, et que Dieu vous garde. J’ai hâte d’avoir des nouvelles de mon neveu,
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