Gauvain
furibond.
« Je récuse ce jugement ! s’écria-t-il. Je préfère livrer un combat franc et immédiat devant toute la cour. Je ne suis pas venu ici pour être jugé mais pour me battre. Je prouverai qu’il était malhonnête d’accorder Lidoine à Méraugis. » Celui-ci releva aussitôt le gant : « Gorvain, dit-il, j’en prends Dieu à témoin, tu ne seras pas privé de ce combat. Tu me trouveras bientôt ici avec mes armes et mon bouclier. Je suis bien résolu à établir la preuve et de ton tort et de mon droit ! – A la bonne heure ! s’écria Gorvain, tu deviens enfin raisonnable ! »
Tout était dit et, les poings serrés, ils se ruèrent l’un sur l’autre. Un instant de plus, puisqu’ils n’avaient même pas attendu leurs armes et leurs chevaux, et le plus valeureux des deux se révélait aux yeux de tous. Mais le roi Arthur s’écria qu’il interdisait que quiconque fût assez hardi pour frapper le premier et se battre à sa cour comme portefaix. Quant à la reine, elle marcha droit sur les deux chevaliers et leur dit : « Seigneurs, Dieu m’en est témoin, je ne tolérerai jamais que ce combat ait lieu à la cour. Vous étiez tous deux convenus de vous en remettre à mon jugement. – Je me demande si nous avons bien fait, dit Méraugis. Dieu sait s’il m’en coûte mais, à tout prendre, j’aurais préféré me battre et conquérir ainsi l’amour de Lidoine par l’épée plutôt que de le recevoir sans effort !
— Et pourquoi donc ? demanda Guenièvre. – La gloire m’en serait revenue, répondit Méraugis. – J’ignore qui de vous s’en féliciterait, repartit la reine, mais je tiens à vous dire ceci : vous voulez vous battre ? Soit, mais plutôt que d’essuyer une honte publique, quittez cette cour, vous pourrez toujours vous expliquer ailleurs. – Comment ? dit Gorvain. Cette cour est-elle sous le coup d’un enchantement qu’on n’ait pas le droit de s’y battre ? – Ce qui est jugé est jugé, dit froidement la reine. – Fort bien, répliqua Gorvain. Je vois que la justice va de travers dans cette cour. » Et, sans ajouter un mot, il prit son cheval, l’enfourcha et s’en fut immédiatement. Alors, Méraugis, qui était resté dans la grande salle, savoura son bonheur, car le roi pria Lidoine de lui accorder son amour en tout bien tout honneur.
« Roi, dirent les chevaliers, il serait normal que la jeune fille scelle cet amour d’un baiser. » En entendant cette requête, Méraugis ne se tint plus de joie. Lidoine n’en paraissait pas mécontente, elle non plus. Elle s’avança vers Méraugis : « Sur l’ordre du roi et de la reine, dit-elle, j’accorderai donc à Méraugis l’amour que je lui dois. Mais il n’en aura la jouissance que dans un an, jour pour jour, car je ne goûterai aucun plaisir avec lui avant ce terme, sachez-le tous. Je ne consens à le fréquenter que s’il respecte cette convention. L’année prochaine, je le lui promets, il goûtera avec moi d’autres plaisirs, mais, pour l’instant, les choses en resteront là. Aujourd’hui, il n’emportera que mon baiser et le titre que je lui donne de mon chevalier servant. » À ces mots, Méraugis répondit en pleine assemblée : « J’accepte cette convention et je m’engage à n’y point contrevenir. » Alors, Lidoine s’approcha de lui et lui donna en public le baiser qui scellait leur accord. Puis, tout joyeux d’avoir réglé cette affaire, le roi invita l’assemblée à passer à table et demanda qu’on apportât l’eau.
La nuit était tombée et ils avaient presque achevé leur repas quand ils virent arriver, sur un cheval pie, un nain d’une laideur peu commune. Celui-ci s’avança vers Arthur et lui dit : « Roi, accorde-moi quelque attention, écoute-moi et fais taire ta compagnie, car je la trouve bien bruyante et bien insouciante. Roi, comment peux-tu manifester une telle joie ? J’en suis fort étonné. Je tiens à te dire que, dans cette cour, personne n’a sujet de rire. – Comment cela ? demanda Arthur. – Parce que vous n’avez aucun lieu de vous réjouir. Regarde donc autour de moi. Ton neveu Gauvain est-il là ? – Non, certes, j’en conviens. – Il serait donc vain de redouter ta cour puisqu’elle est privée du meilleur chevalier qui soit au monde. Comment peux-tu supporter une telle absence ? Roi, décidément, te voilà déclinant, quand tu devrais monter vers l’apogée. – Et pourquoi donc ?
— Je vais te
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