Gauvain
nuit, rejoindre subrepticement Gauvain dans son lit. Certes, il n’y eut guère de servantes ni de dames pour l’accompagner ! Gauvain seul la sentit se glisser entre les draps. « Si je ne t’aimais tant et depuis toujours, dit-elle en se serrant contre lui, je ne me conduirais pas de la sorte. Je me mets là un bien lourd fardeau sur la tête. »
Or, il l’enlaça, et elle ne pensa plus à se plaindre. Ils restèrent ensemble toute la nuit. Au lever du jour, n’osant rester davantage, elle prit congé de Gauvain, entremêlant sanglots et doux baisers. Ni l’un ni l’autre ne pouvait prendre l’initiative de se séparer. Enfin, au prix d’un grand effort sur elle-même, la jeune fille parvint à s’arracher des bras de Gauvain et, dans le plus grand secret, regagna bien vite sa chambre, le cœur empli d’une joie profonde parce qu’elle avait obtenu ce qu’elle désirait le plus au monde.
Gauvain et Hunbaut, eux, se levèrent quand le soleil était déjà haut. Peu soucieux de demeurer plus longtemps dans la forteresse, car ils avaient, l’un et l’autre, autre chose à faire, ils eurent tôt fait de s’équiper et de s’éclipser sans revoir leur hôte dont ils avaient, la veille, pris congé afin de ne pas le déranger le matin. Ils reprirent donc leur chevauchée, et s’ils ne durent ni traverser de marécages, ni éprouver d’encombre, du moins affrontèrent-ils des forêts désertes et des landes sauvages battues par les vents.
Chemin faisant, Hunbaut agonit Gauvain de sarcasmes : « Certes, disait-il, j’aurais mieux fait d’aller tout seul sur les routes de Carduel plutôt que de rester avec toi. Quand les chiens sont lancés, il est impossible de les arrêter ! Je t’avais pourtant averti de la cruauté de notre hôte, ainsi que de sa mauvaise foi. Mais, loin de m’écouter, tu t’es complu dans l’imprudence. Tu peux t’estimer heureux de t’en être tiré à si bon compte ! Décidément, ta réputation n’est pas fausse, et quand on prétend que tu ne manques jamais de secourir une dame ou une jeune fille en détresse, on sait pertinemment en quoi consistent tes exploits ! – Tais-toi, beau cousin, répliqua Gauvain, ou c’est moi qui te quitte ! »
Ils entraient alors dans une forêt d’aspect plus accueillant. Mais, dans une clairière, ils aperçurent une jeune fille qui aurait été plaisante et très belle, n’eût été son défaut de joie, car, assise sur un tronc d’arbre, elle pleurait, se meurtrissait de ses deux poings ou se tirait tant les cheveux qu’elle semblait devoir les arracher tous. Quoique Gauvain et Hunbaut n’eussent nulle intention de s’arrêter, ils voulurent néanmoins s’informer des raisons de sa douleur. Aussi la prièrent-ils de leur dire sans tarder pourquoi elle se trouvait dans cette clairière, seule et en larmes.
La jeune fille leur répondit : « On emmène mon père et mon frère qui sont prisonniers, et j’ai tout lieu d’être affligée. Car, avant de se rendre, ils se sont fièrement battus, et mon cœur ne peut décider lequel des deux je dois suivre. Je ne voudrais faire que ce qui est juste. Donnez-moi donc votre avis avant de repartir. Ce sont sept redoutables brigands qui les ont capturés. Quatre d’entre eux emmènent mon frère par ce chemin qui va à droite, et les trois autres mon père par celui de gauche. Voilà pourquoi je me désespère : je ne sais qui suivre puisqu’ils n’ont pas pris la même direction. »
Gauvain regarda Hunbaut, et Hunbaut regarda Gauvain. « Beau cousin, dit ce dernier, je te laisse le choix du chemin. – Tu as tort de t’en remettre à moi, dit Hunbaut. La souffrance et la peine, c’est la jeune fille qui les supporte, et pour ceux qu’elle aime. Puisque nous sommes tous deux chevaliers, qu’elle dispose à sa guise de nos personnes. Je piaffe déjà de secourir l’un des prisonniers, et j’y courrai au grand galop. – Tu dis juste, répondit Gauvain, je n’y avais pas pensé. »
Avec des regards de reconnaissance, la malheureuse jeune fille sut amplement les récompenser, et elle leur distribua l’ouvrage comme elle l’entendait. À Gauvain elle confia le sort de son frère, à Hunbaut celui de son père. Alors, après s’être mutuellement recommandés à Dieu, ils se séparèrent et s’engagèrent dans la forêt profonde {24} .
9
Sur l’autre Rive du Fleuve
À Carduel, le roi Arthur s’inquiétait de plus en plus de ne recevoir aucune
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