Gauvain
nouvelle de son neveu Gauvain. Il en devenait triste et pensif, et lui qui, jadis, se plaisait à deviser avec ses compagnons, il les évitait presque et passait de longues heures solitaires à méditer dans le pré, devant la forteresse. L’arrivée même de Lancelot, que tout le monde salua avec joie et empressement, n’atténua guère la langueur du roi. Quant à la reine Guenièvre, pourtant si heureuse de savoir proche celui qu’elle aimait d’un amour passionné, elle ne se désolait pas moins. Reverrait-elle jamais le fils du roi Loth d’Orcanie, qui s’était illustré par tant d’exploits et en secourant tant de dames dans la détresse ? Les jours passaient, cependant, sans que personne pût dire où se trouvait Gauvain.
Or, un matin qu’Arthur tenait conseil avec quelques-uns de ses compagnons, parmi lesquels se remarquaient Sagremor le Desréé, Yder, fils de Nudd, Caradoc Brichbras, fils du roi Cadoc, Yvain, fils d’Uryen, Girflet, fils de Dôn, et Kaï, le sénéchal, Lancelot prit la parole et dit : « Roi, ne rien entreprendre devient inconvenant. Jusqu’à présent, aucun des messagers que tu as envoyés chercher des nouvelles de ton neveu n’a réussi. De ceux de la Table Ronde qui se sont lancés en quête de lui, aucun ne l’a jamais rencontré, aucun n’a croisé personne qui pût lui procurer la moindre information sur son sort. Pourquoi ne pas partir nous-mêmes ensemble à sa recherche ? Il me semble que nous serions plus forts et que nous aurions plus de chance si, à plusieurs, nous entreprenions la même quête. »
Le roi Arthur soupira et dit : « Lancelot, mon ami, je crois que tu as raison. – Certes, opina Girflet, je ne sais où aller pour le retrouver, mais il nous faut le chercher en tous lieux, dût cela nous épuiser tous. – Par ma foi, ajouta Sagremor, je brûle aussi de me mettre en route. Parcourons le monde entier jusqu’à ce que nous découvrions la vérité. » Et, l’un après l’autre, chacun approuva le conseil de Lancelot. Alors Arthur dit : « Puisqu’il en est ainsi, je vous accompagnerai. Quoi qu’il advienne, je ne me laisserai pas rebuter par le désespoir, et rien, non, rien ne m’empêchera de savoir ce qui est arrivé à mon neveu. »
C’est alors que Kaï intervint : « L’insouciance et les excès de ton neveu nous plongent dans l’embarras, dit-il avec mauvaise humeur. Je déplore quant à moi son entêtement dans l’orgueil et la démesure. C’est pour nous faire languir qu’il ne donne pas de nouvelles, et je suis persuadé qu’il se prélasse dans quelque manoir, y faisant bonne chère en galante compagnie ! » Seule l’aigreur lui dictait ces paroles ironiques, car toute occasion lui semblait trop belle de railler ses compagnons. Il était vaillant aux armes, capable de grands exploits, audacieux jusqu’à la témérité, mais son esprit acerbe lui valait à la cour d’innombrables inimitiés. « Il suffit, Kaï ! répliqua vertement le roi. Garde tes sarcasmes pour un autre jour, et prépare-toi à nous escorter. Je souhaite en effet que nous prenions la route au plus tôt. » Là-dessus, il ordonna à ses serviteurs de seller les chevaux et d’apprêter les armes.
Les dix qui désiraient accompagner Arthur apportèrent tant de zèle à leurs préparatifs que, dès la fin de la matinée, sitôt pris congé de la reine, ils quittèrent Carduel par le grand chemin ferré qui se dirigeait vers le sud. Et, chaque fois qu’ils croisaient un forestier, un paysan ou un chevalier, ils s’informaient de Gauvain. Lorsqu’ils s’arrêtaient dans les ermitages afin de s’y reposer, ils mettaient à profit ces brèves haltes pour poser de nouveau les questions nécessaires. Malheureusement, ce jour-là, nul ne fut en mesure de leur fournir le moindre éclaircissement.
Comme le soir tombait, vers l’heure de vêpres, le roi Arthur avoua son étonnement : comment se pouvait-il que, après avoir parcouru tant de landes et tant de forêts, nulle aventure notoire ne fût survenue ? Ils se trouvaient alors près d’une forteresse dont le seigneur, un puissant comte, avait prêté hommage au roi. Aussi celui-ci y vint-il loger avec autant de joie que de satisfaction, car son vassal l’avait mise sans réserve à sa disposition et, loin de rechigner, se multiplia pour mieux honorer et recevoir ses hôtes. Néanmoins, dès que le jour parut, aucune prière ne put convaincre le roi de prolonger son séjour. Aussi,
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