George Sand et ses amis
reparlerons.» Elle lui recommande Pagello, «un brave et digne homme de votre trempe, bon et dévoué comme vous.
Je lui dois la vie d'Alfred et la mienne. Pagello a le projet de rester quelques mois à Paris. Je vous le confie et je vous le lègue ; car, dans l'état de maladie violente où est mon esprit, je ne sais point ce qui peut m'arriver.»
De vrai, Pagello s'apprêtait à regagner Venise. Il avait décliné très dignement l'invitation que George Sand lui adressait, avec l'agrément de M. Dudevant, de venir passer huit ou dix jours à Nohant. Au surplus, malgré ses velléités de suicide, elle chargeait Boucoiran de dire au propriétaire qu'elle gardait son appartement du quai Malaquais, et elle donnait l'ordre de faire carder ses matelas, «ne voulant pas être mangée aux vers de son vivant.»
Dans la première quinzaine d'octobre, George Sand rentrait à Paris. Alfred de Musset y revenait le 13. Peu de jours après, le 23, Pagello reprenait le chemin de l'Italie. La vente de quatre tableaux-à l'huile, observe-t-il-de Zucarelli lui avait, par l'entremise de George Sand, procuré une somme de quinze cents francs. Il acheta une boîte d'instruments de chirurgie et quelques livres de médecine. «Le temps, dit-il, qui est un grand honnête homme, amena le jour redouté et désiré par moi du retour de la Sand à Paris.» Il reçut le complément du prix des tableaux, prépara son bagage et alla prendre congé de George Sand, devant Boucoiran. «Nos adieux furent muets ; je lui serrai la main sans pouvoir la regarder. Elle était comme perplexe ; je ne sais pas si elle souffrait ; ma présence l'embarrassait. Il l'ennuyait, cet Italien qui, avec son simple bon sens, abattait la sublimité incomprise dont elle avait coutume d'envelopper la lassitude de ses amours.
Je lui avais déjà fait connaître que j'avais profondément sondé son coeur plein de qualités excellentes, obscurcies par beaucoup de défauts. Cette connaissance de ma part ne pouvait que lui donner du dépit, ce qui me fit abréger, autant que je pus, la visite. J'embrassai ses enfants et je pris le bras de Boucoiran qui m'accompagna.»
En s'éloignant, Pagello ne lança pas la flèche du Parthe, bien qu'il fût en état de légitime défense. Le jour même où il quittait Paris, il écrivit à Alfred Tattet : «Mon bon ami, avant de partir, je vous envoie encore un baiser. Je vous conjure de ne jamais parler de mon amour avec la George. Je ne veux pas de vendette. Je pars avec la certitude d'avoir agi en honnête homme. Ceci me fait oublier ma souffrance et ma pauvreté. Adieu, mon ange. Je vous écrirai de Venise. Adieu, adieu.»
Avait-il, l'infortuné Pagello, été dûment informé de la réconciliation amoureuse survenue entre Alfred de Musset et George Sand ? Il est probable. Le jour même de son retour à Paris, 13 octobre, le poète envoyait, non pas à Nohant, comme le croit M. Maurice Clouard, mais au quai Malaquais, où se trouvait George Sand, une lettre qui débute ainsi : «Mon amour, me voilà ici... Tu veux bien que nous nous voyions. Et moi, si je le veux ! Mais ne crains pas de moi, mon enfant, la moindre parole, la moindre chose, qui puisse te faire souffrir un instant... Fie-toi à moi, George, Dieu sait que je ne te ferai jamais de mal. Reçois-moi, pleurons ou rions ensemble, parlons du passé ou de l'avenir, de la mort ou de la vie, de l'espérance ou de la douleur, je ne suis plus rien que ce que tu me feras.» Et il lui rappelle, et il s'approprie les touchantes paroles de Ruth à Noémi : «Laissez-moi vivre de votre vie ; le pays où vous irez sera ma patrie, vos parents seront mes parents ; là où vous mourrez, je mourrai, et dans la terre qui vous recevra, là je serai enseveli.»
Ce mystique appel aboutit à la conclusion plus pratique d'un rendez-vous : «Dis-moi ton heure. Sera-ce ce soir ? Demain ? Quand tu voudras, quand tu auras une heure, un instant à perdre. Réponds-moi une ligne. Si c'est ce soir, tant mieux. Si c'est dans un mois, j'y serai. Ce sera quand tu n'auras rien à faire. Moi, je n'ai à faire que de t'aimer. Ton frère, Alfred.»
Ils se réconcilièrent amoureusement, dans le courant d'octobre, sans qu'on puisse préciser la date, car leurs lettres d'alors ne contiennent aucune indication ; mais ce fut, selon toute apparence, avant le départ de Pagello. Il emportait cette blessure au coeur et, ne devant plus revoir George Sand, il ne lui écrira désormais, du fond de
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