George Sand et ses amis
connaît pas. Ta mère fera semblant de ne pas me reconnaître, et je passerai pour une garde. Laisse-moi te veiller cette nuit, je t'en supplie. Parle à ta mère, dis-lui que tu le veux.» C'était un réveil, un revenez-y de cette tendresse maternelle qui se prodiguait au chevet du malade et s'atténuait après la guérison. Elle vint, en effet, revêtit le costume de la servante et soigna le poète avec sollicitude. Il fut vite rétabli, mais les soucis s'accumulaient autour de leur amour. Pour Alfred de Musset, il y eut d'abord une brouille avec Alfred Tattet, qui avait blâmé la reprise de la liaison rompue ; puis une provocation adressée à Gustave Planche, qui nia avoir tenu les propos désobligeants qu'on lui prêtait. Enfin, entre Elle et Lui, les récriminations et les griefs s'amoncelaient.
Perpétuelle alternance de soupçons, de colères, de repentirs et de pardons. On a prétendu qu'alors, comme avant le voyage de Venise, Alfred de Musset habitait chez George Sand, et l'on invoque à cet égard l'adresse, 19, quai Malaquais, mise au-dessous de sa signature dans le cartel à Gustave Planche. En réalité, ce ne devait être là qu'un domicile intermittent. Les billets qu'il envoyait à madame Sand portent presque tous cette suscription : Madame Dudevant, n° 19, quai Malaquais. Ils n'ont pas le cachet de la poste et étaient remis par un commissionnaire. En voici un qui a été écrit par Alfred de Musset dans un intervalle de calme relatif : «Le bonheur, le bonheur, et la mort après, la mort avec. Oui, tu me pardonnes, tu m'aimes ! Tu vis, ô mon âme, tu seras heureuse ! Oui, par Dieu, heureuse par moi. Eh ! oui, j'ai vingt-trois ans, et pourquoi les ai-je ? Pourquoi suis-je dans la force de l'âge, sinon pour te verser ma vie, pour que tu la boives sur mes lèvres ? Ce soir, à dix heures, et compte que j'y serai plutôt (sic). Viens, dès que tu pourras ; viens, pour que je me mette à genoux, pour que je te demande de vivre, d'aimer, de pardonner. Ce soir, ce soir !» Les bonnes résolutions d'Alfred de Musset duraient peu, ses promesses n'avaient pas de lendemain. George Sand le lui rappelle et s'en plaint avec une douce mélancolie : «Pourquoi nous sommes-nous quittés si tristes ? Nous verrons-nous ce soir ? Pouvons-nous être heureux ? Pouvons-nous nous aimer ? Tu as dit que oui, et j'essaie de le croire. Mais il me semble qu'il n'y a pas de suite dans tes idées, et qu'à la moindre souffrance tu t'indignes contre moi, comme contre un joug. Hélas ! mon enfant, nous nous aimons, voilà la seule chose sûre qu'il y ait entre nous.
Le temps et l'absence ne nous ont pas empêchés et ne nous empêcheront pas de nous aimer. Mais notre vie est-elle possible ensemble ? La mienne est-elle possible avec quelqu'un ? Cela m'effraie. Je suis triste et consternée par instants ; tu me fais espérer et désespérer à chaque instant. Que ferai-je ? Veux-tu que je parte ? Veux-tu essayer encore de m'oublier ? Moi, je ne chercherai pas, mais je puis me taire et m'en aller. Je sens que je vais t'aimer encore comme autrefois, si je ne fuis pas. Je te tuerai peut être et moi avec toi, penses-y bien.» Est-ce à cette lettre et à l'offre de rupture amiable qui y est formulée qu'Alfred de Musset, de nouveau malade, répond en quelques lignes ? «Quitte-moi, toi, si tu veux. Tant que tu m'aimeras, c'est de la folie, je n'en aurais jamais la force. Ecris-moi un mot, je donnerais je ne sais quoi pour t'avoir là. Si je peux me lever, j'irai te voir.» Le lendemain ou le surlendemain, autre billet du poète, où l'on sent l'exaltation s'accroître. Ce ne sont plus guère que des exclamations : «Mon ange adoré, je te renvoie ton agent (l'r manque). Buloz m'en a envoyé. Je t'aime, je j'aime, je t'aime. Adieu ! O mon George, c'est donc vrai ? Je t'aime pourtant. Adieu, adieu, ma vie, mon bien ; adieu, mes lèvres, mon coeur, mon amour. Je t'aime tant ! O Dieu, adieu, toi, toi, toi, ne te moque pas d'un pauvre homme.» George Sand atteint, elle aussi, au paroxysme de la névrose ; elle suit Musset sur le chemin de la frénésie amoureuse, et lui propose de rejoindre leur amie Roxanne dans cette forêt de Fontainebleau où ils ont connu, l'automne précédent, les joies de l'amour naissant, mais où, pour la première fois, se sont manifestées les hallucinations du poète. Là-bas, dans la solitude, ils pourront réaliser le lugubre et tragique dessein que chacun d'eux nourrit en
Weitere Kostenlose Bücher