George Sand et ses amis
son imagination maladive.
«Tout cela, répond George Sand, vois-tu, c'est un jeu que nous jouons, mais notre coeur et notre vie servent d'enjeux, et ce n'est pas tout à fait aussi plaisant que cela en a l'air. Veux-tu que nous allions nous brûler la cervelle ensemble à Franchard ? Ce sera plus tôt fait. Roxanne a eu une petite larme sur la joue, quand je lui ai lu le paragraphe qui la concerne. Viens pour elle, si ce n'est pour moi. Elle te donnera du lait et tu lui feras des vers. Je ne serai jalouse que du plaisir qu'elle aura à te soigner.»
Ces projets de suicide étaient dans le goût du jour et conformes à l'esthétique du romantisme. C'est l'époque où Victor Escousse, âgé de dix-neuf ans, s'asphyxiait avec son collaborateur Auguste Lebras, parce que sa troisième pièce, Raymond, avait été froidement accueillie.
Plus sages à la réflexion, George Sand et Alfred de Musset remplacèrent le suicide par une rupture. Ils parurent écouter les avis que leur donnaient, à Lui Alfred Tattet, à Elle Sainte-Beuve, qui exerçaient en partie double les fonctions de confident, presque de confesseur et de directeur de conscience sentimentale. Alfred Tattet n'aimait pas George Sand, et Sainte-Beuve jalousait un peu Musset. Ils devaient, l'un et l'autre, pousser à la séparation. Nous avons une lettre de madame Sand implorant de Sainte-Beuve assistance et protection, en cette crise du mois de novembre 1834 : «Mon ami, écrit-elle, je voudrais vous voir et causer avec vous tête-à-tête ; cela est impossible chez moi. Soyez assez bon pour aller au collège Henri IV demain, de midi et demi à une heure ; demandez mon fils, je serai avec lui. De là nous irons faire un tour sur la place Sainte-Geneviève, et, en une demi-heure, je vous expliquerai ma situation et vous demanderai un conseil.
J'ai une question de vie et de mort à trancher. Aidez-moi. A vous.»
Par malheur, nous n'avons pas la réponse de Sainte-Beuve ; mais, au cours de la promenade sur la place Sainte-Geneviève, il dut conseiller le départ. Elle se rendit, en effet, à Nohant, d'où elle écrit, le 15 novembre, à Jules Boucoiran : «Je ne vais pas mal, je me distrais, et ne retournerai à Paris que guérie et fortifiée. Vous avez tort de parler comme vous faites d'Alfred. N'en parlez pas du tout, si vous m'aimez, et soyez sûr que c'est fini à jamais entre lui et moi.» De son côté, Musset va en Bourgogne, à Montbard, chez des parents, pour soigner sa santé fort ébranlée par ces secousses, et il mande, le 12 novembre, à Alfred Tattet : «Tout est fini. Si par hasard on vous faisait quelques questions, si peut-être on allait vous voir pour vous demander à vous-même si vous ne m'avez pas vu, répondez purement que non, et soyez sûr que notre secret commun est bien gardé de ma part.» Paul de Musset, dans la Biographie, passe rapidement sur tous ces détails, non sans tâcher de donner à son frère le beau rôle de l'homme poursuivi et harcelé : «Le retour, dit-il, d'une personne qu'il ne voulait pas revoir et qu'il revit bien malgré lui [Ceci est faux, comme l'indique le billet d'Alfred de Musset à son retour de Baden.] le plongea de nouveau dans une vie si remplie de scènes violentes et de débats pénibles que le pauvre garçon eut une rechute, à croire qu'il ne s'en relèverait plus. Cependant il puisa dans son mal même les moyens de se guérir. A défaut de la raison, le soupçon et l'incrédulité le sauvèrent. Il s'ennuya des récriminations et de l'emphase, et prit la résolution de se dérober à ce régime malsain.»
Quoiqu'ils l'eussent juré, Elle et Lui, à Sainte-Beuve et à Tattet, rien n'était encore fini. Nous voici, au contraire, en pleine drame. Ni Montbard ni Nohant n'étaient assez loin de Paris. Ils y reviennent, l'un et l'autre. George Sand est reprise, à la fin de novembre, de la passion la plus effrénée ; la plus délirante pour Musset :
C'est Vénus toute entière à sa proie attachée.
Et nous entendons ses sanglots, nous voyons couler ses larmes dans le Journal inédit où s'épanche le débordement de sa folie d'amour. Il faudrait citer toutes ces pages cruellement éloquentes, et nous n'en pouvons retenir que les passages les plus douloureusement émus. Avant le départ pour Nohant, elle avait consigné sur son Journal ces lignes navrantes : «Je t'aime avec toute mon âme, et toi, tu n'as pas même d'amitié pour moi. Je t'ai écrit ce soir. Tu n'as pas voulu
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