George Sand et ses amis
sa Vénétie, qu'à de lointains intervalles, pour recommander des amis. Aussi bien fut-il amplement vengé de cet abandon. Entre George Sand et Alfred de Musset, l'amour ne pouvait ni cesser ni durer, ni mourir ni renaître. Le lendemain même ou le surlendemain de leur rapprochement, les souvenirs du passé cruel se dressèrent devant eux. Il n'y eut, pour ainsi dire, point de journée sans raccommodement et sans brouille. La jalousie de Musset, et comme une rage infernale de torturer, se donnait carrière. «J'en étais bien sûre, écrit George Sand, que ces reproches-là viendraient dès le lendemain du bonheur rêvé et promis, et que tu me ferais un crime de ce que tu avais accepté comme un droit. A peine satisfait, c'est contre moi que tu tournes ton désespoir et ta colère.» Il accumule, en effet, les questions, les soupçons, les récriminations. «N'ai-je pas prévu, s'écrie-t-elle, que tu souffrirais de ce passé qui t'exaltait comme un beau poème tant que je me refusais à toi, et qui ne te paraît plus qu'un cauchemar, à présent que tu me ressaisis comme une proie.
Voyons, laisse-moi donc partir. Nous allons être plus malheureux que jamais. Si je suis galante et perfide comme tu sembles me le dire, pourquoi t'acharnes-tu à me reprendre et à me garder ?... Que nous restera-t-il donc, mon Dieu ! d'un lien qui nous avait semblé si beau ? Ni amour, ni amitié, mon Dieu !»
Après chacune de ces scènes, au sortir de chaque crise, Alfred de Musset s'humilie, implore son pardon, s'accuse et se condamne, pour recommencer le jour suivant : «Mon enfant, mon enfant, lui écrit-il, que je suis coupable envers toi ! que de mal je t'ai fait cette nuit ! Oh ! je le sais, et toi, toi, voudrais-tu m'en punir ? O ma vie, ma bien-aimée, que je suis malheureux, que je suis fou, que je suis stupide, ingrat, brutal !... O mon enfant, ô mon âme, je t'ai pressée, je t'ai fatiguée, quand je devrais passer les journées et les nuits à tes pieds, à attendre qu'il tombe une larme de tes beaux yeux pour la boire, à te regarder en silence, à respecter tout ce qu'il y a de douleur dans ton coeur ; quand ta douleur devrait être pour moi un enfant chéri que je bercerais doucement. O George, George ! Ecoute, ne pense pas au passé. Non, non, au nom du ciel, ne compare pas, ne réfléchis pas, je t'aime comme on n'a jamais aimé... O Dieul si je te perdais ! ma pauvre raison n'y tient pas. Mon enfant, punis-moi, je t'en prie ; je suis un fou misérable, je mérite ta colère... Ma vie, mon bien suprême, pardon, oh ! pardon à genoux ! Ah ! pense à ces beaux jours que j'ai là dans le coeur, qui viennent, qui se lèvent, que je sens là, pense au bonheur, hélas ! hélas ! si l'amour l'a jamais donné. George, je n'ai jamais souffert ainsi. Un mot, non pas un pardon, je ne le mérite pas ; mais dis seulement : J'attendrai.
Et moi, Dieu du ciel, il y a sept mois que j'attends, je puis en attendre encore bien d'autres. Ma vie, doutes-tu de mon pauvre amour ? O mon enfant, crois-y, ou j'en mourrai.» Ces cris de désespoir, d'ivresse, de folie, ces lamentations, succédant à des explosions de colère, ne sont qu'un faible écho des tourments qui secouaient deux êtres de génie, un homme enfiévré et hystérique, surexcité par l'alcool, une femme mobile et irritable, plus mère qu'amante. Ils vont se débattre cinq mois dans cette agonie d'amour.
CHAPITRE XV - LA RUPTURE DÉFINITIVE
Cette réconciliation avec George Sand, aussitôt suivie de reproches et de querelles, devait avoir sur l'organisme d'Alfred de Musset une répercussion fâcheuse. Au commencement de novembre, selon toute apparence-car les lettres ne sont pas datées,-il envoya à son amie un court billet, sans signature et d'une écriture tourmentée. En voici le texte : «J'ai une fièvre de cheval. Impossible de tenir sur mes jambes. J'espérais que cela se calmerait. Comment donc faire pour te voir ? Viens donc avec Papet ou Rollinat ; il entrerait le premier tout seul, et, quand il n'y aurait personne, il t'ouvrirait. Après dîner, cela se peut bien. Je me meurs de te voir une minute, si tu veux. Aime-moi. Vers huit heures tu peux venir, veux-tu ?» Sur-le-champ George Sand lui répondit : «Certainement, j'irai, mon pauvre enfant. Je suis bien inquiète. Dis-moi, est-ce que je ne peux pas t'aller soigner ? Est-ce que ta mère s'y opposerait ? Je peux mettre un bonnet et un tablier à Sophie. Ta soeur ne me
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