George Sand et ses amis
Il tue des chamois et des aigles. Il se lève à deux heures du matin et rentre à la nuit. Sa femme s'en plaint. Il n'a pas l'air de prévoir qu'un temps peut venir où elle s'en réjouira.» Suivent des observations de psychologie ou de physiologie conjugale, qui renferment la substance des premiers romans où s'épanchera la rancoeur de George Sand contre la tyrannie du ménage.
«Le mariage est beau pour les amants et utile pour les saints. En dehors des saints et des amants, il y a une foule d'esprits ordinaires et de coeurs paisibles qui ne connaissent pas l'amour et qui ne peuvent atteindre à la sainteté. La mariage est le but suprême de l'amour. Quand l'amour n'y est plus ou n'y est pas, reste le sacrifice.» Aurore commençait à se trouver sacrifiée et s'en ouvrait à Aurélien de Sèze, leur compagnon de voyage.
On faisait des excursions aux environs de Cauterets. La promenade traditionnelle à Luz, Saint-Sauveur et Gavarnie amène sous la plume de madame Dudevant des descriptions solennelles et des croquis humoristiques. Celles-là sont sans intérêt, ceux-ci ont un tour assez piquant. Voici la caravane devant le Marboré : «Mon mari est des plus intrépides. Il va partout et je le suis. Il se retourne et il me gronde. Il dit que je me singularise. Je veux être pendue si j'y songe. Je me retourne, et je vois Zoé qui me suit. Je lui dis qu'elle se singularise. Mon mari se fâche parce que Zoé rit. Mais la pluie des cataractes est un grand calmant, et on s'y défâche vite. Les uns ont peur, les autres ont froid. Un monsieur qui est dans le commerce compare la vallée coupée par petits enclos cultivés à une carte d'échantillons. Une très jolie Bordelaise, très élégante, s'écrie tout à coup avec une voix flûtée et un accent renforcé : Oh ! la tripe me jappe ! Ça signifie qu'elle a faim.» Passons sur les propos du mari qui sont encore plus prosaïques.
Le retour de M. et madame Dudevant s'effectua par Bagnères de Bigorre, Lourdes et Nérac. Il fallut se séparer d'Aurélien de Sèze, et Aurore avoue n'avoir gardé aucun souvenir de la suite du voyage : «Il en est ainsi, dit-elle, de beaucoup de pays que j'ai traversés sous l'empire de quelque préoccupation intérieure : je ne les ai pas vus.
Les Pyrénées-(était-ce bien les Pyrénées ?)-m'avaient exaltée et enivrée comme un rêve qui devait me suivre et me charmer pendant des années.» Bref, elle emportait un viatique sentimental.
Un séjour chez son beau-père, à Guillery, semble avoir laissé à Aurore une impression favorable. Elle aimait ce vieillard, qui la traitait avec une pointe de galanterie respectueuse, et dont elle résume ainsi le caractère, «enjoué et bienveillant, colère, mais tendre, sensible et juste.» Elle loue les Gascons, qu'elle ne trouve pas plus menteurs ni plus vantards que les autres provinciaux, qui le sont tous un peu», mais elle n'aime pas leur cuisine à la graisse, en dépit de la plantureuse chère que l'on faisait à Guillery. Elle énumère les pièces de résistance qui composaient des menus pantagruéliques : jambons, poulardes farcies, oies grasses, canards obèses, truffes, gibier, gâteaux de millet et de maïs. Nul ne séjournait en cette abbaye de Thélème, sans s'apercevoir, dit Aurore, d'une notable augmentation de poids dans sa personne. Seule elle dérogeait à la règle et maigrissait à vue d'oeil. Comment expliquer ce dépérissement ? Etait-ce le fait de la cuisine à la graisse ou de l'éloignement d'Aurélien ? Un voyage à Bordeaux les remit en présence. Dans une longue conversation à la Brède, ils prirent la résolution définitive-malgré lui, malgré elle, comme Titus et Bérénice-de n'être jamais qu'amis. «J'eus là, écrit-elle, un très violent chagrin, un moment de désespérance absolue.» Mais le calme revint dans son esprit et elle trouva un équilibre provisoire.
Le baron Dudevant mourut pendant l'hiver 1825-1826. Aurore était absente de Guillery. Son mari lui annonça brusquement la nouvelle : «Il est mort.» Immédiatement elle songea à son fils Maurice et tomba sur les genoux, anéantie. Quand elle sut qu'il s'agissait de son beau-père, elle eut un éclair de joie-«les entrailles maternelles sont féroces»-puis elle se mit à pleurer, car elle aimait le vieux Dudevant. La veuve lui inspira bientôt des sentiments tout autres. Sous des formes affables, c'était une nature de glace, profondément égoïste. George Sand nous a
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