George Sand et ses amis
Si j'avais prévu la moitié des difficultés que je trouve, je n'aurais pas entrepris cette carrière. Eh bien, plus j'en rencontre, plus j'ai la résolution d'avancer.» Elle est, en effet, envahie par une passion violente, irrésistible, la passion d'écrire. A ce prix, elle supporte mainte privation et tout d'abord de peiner chaque jour au Figaro, de neuf heures du matin à cinq heures, en qualité de manoeuvre, «ouvrier-journaliste, garçon-rédacteur.» Puis elle ajoute : «Le journalisme est un postulat par lequel il faut passer.»
Le soir, elle va assez fréquemment au théâtre ; mais par esprit d'économie-et en suivant, écrit-elle à Boucoiran, certain conseil que vous m'avez donné-elle s'habille en homme. Ainsi elle évite de renouveler sa garde-robe, et c'est en costume d'étudiant qu'elle occupe, avec Jules Sandeau et d'autres amis, les loges qu'Henri de Latouche lui donne presque tous les soirs. Le bruit en est arrivé jusqu'à sa mère, qui exprime son étonnement de cette singularité. George Sand lui répond, pendant un de ses séjours à Nohant, en feignant de prendre le change : «On vous a dit que je portais culotte, on vous a bien trompée. En revanche, je ne veux point qu'un mari porte mes jupes. Chacun son vêtement, chacun sa liberté.»
Parmi les relations littéraires que se créa George Sand à ses débuts, il faut au premier rang placer Balzac. C'était la rencontre des deux écrivains qui, dans le roman, allaient personnifier les tendances contraires de l'idéalisme et du réalisme. Balzac n'avait pas encore produit ses chefs-d'oeuvre, mais déjà il manifestait cette humeur inquiète et fastueuse qui devait sans cesse courir à la poursuite de la fortune, de découvertes merveilleuses et des fantaisies du luxe.
L'Histoire de ma Vie raconte plaisamment qu'il avait aménagé son petit appartement de la rue de Cassini en boudoirs de marquise, tendus de soie et de dentelle. Bohême à sa façon, il éprouvait le besoin du superflu et se privait de soupe et de café plutôt que d'argenterie et de porcelaine de Chine. Au surplus, il avait des bizarreries et des caprices d'enfant, dont George Sand relate un spécimen très caractéristique :
«Un soir que nous avions dîné chez Balzac d'une manière étrange, je crois que cela se composait de boeuf bouilli, d'un melon et de champagne frappé, il alla endosser une belle robe de chambre toute neuve, pour nous la montrer avec une joie de petite fille, et voulut sortir ainsi costumé, un bougeoir à la main, pour nous reconduire jusqu'à la grille du Luxembourg. Il était tard, l'endroit désert, et je lui observais qu'il se ferait assassiner en rentrant chez lui. «Du tout, me dit-il ; si je rencontre des voleurs, ils me prendront pour un fou, et ils auront peur de moi, ou pour uu prince, et ils me respecteront.» Il faisait une belle nuit calme. Il nous accompagna ainsi, portant sa bougie allumée dans un joli flambeau de vermeil ciselé, parlant des quatre chevaux arabes qu'il n'avait pas encore, qu'il aurait bientôt, qu'il n'a jamais eus, et qu'il a cru fermement avoir pendant quelque temps. Il nous eût reconduits jusqu'à l'autre bout de Paris, si nous l'avions laissé faire.»
Entre Balzac et George Sand il y avait antinomie de conception. Non qu'elle eût une théorie préconçue lorsqu'elle commença à écrire ; mais son tour d'esprit devait la porter à idéaliser les sentiments de ses personnages, alors que Balzac suivait une impulsion toute contraire et qu'il a définie à merveille dans un entretien avec madame Sand : «Vous cherchez l'homme tel qu'il devrait être ; moi, je le prends tel qu'il est.
Croyez-moi, nous avons raison tous deux.» Et, après avoir indiqué son propre procédé qui consiste à grandir ses personnages dans leur laideur ou leur bêtise, à donner à leurs difformités des proportions effrayantes ou grotesques, il conclut en disant à sa rivale : «Idéalisez dans le joli et dans le beau, c'est un ouvrage de femme.»
Certes le premier roman de George Sand ne laisse rien prévoir du développement ultérieur de son génie. Rose et Blanche, ou la Comédienne et la Religieuse, qu'elle composa en collaboration avec Jules Sandeau et qui parut en février 1832 sous le pseudonyme commun de J. Sand, porte la marque de cette gaminerie blagueuse qui était à la mode parmi les néophytes du romantisme. C'est l'oeuvre d'un étudiant qui s'amuse et qui écrit à la hâte sur un coin de table, être
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