George Sand et ses amis
lèvre supérieure.»
De même provenance gouailleuse est le récit des infortunes intimes d'un soprano masculin, ainsi que l'énumération des professions de M. Robolanti, «homme universel, industriel encyclopédiste, voyageur européen, physicien, organiste, chef d'orchestre, instructeur de chiens, de serins et de lièvres, fabricant de thé suisse, d'eau de Cologne, de pommade, d'onguent odontalgique, de faux râteliers et de semelles imperméables.»
Pour reconnaître la marque de George Sand, il faut s'arrêter à certains épisodes : par exemple, au tome II, l'arrivée de l'archevêque qui rappelle de tous points la visite du prélat à Nohant, au chevet de madame Dupin. Dans Rose et Blanche il a été croqué sur le vif : «Un homme court et gras, à figure ronde et bourgeoise, taillé pour faire un épicier, un voltigeur de la garde nationale ou un adjoint de village. Sa robe violette, costume si noble et si beau sur un homme pâle et élancé, ressemblait sur lui au premier fourreau d'un gros marmot ; sa ceinture de moire était perdue sons l'empiétement du ventre sur la poitrine, et sa croix d'or, cherchant en vain sa place entre un cou qui n'existait pas et un estomac qui n'existait plus, occupait tout l'espace intermédiaire entre le menton et l'ombilic.»
Quelques autres pages attestent encore la forme littéraire qui sera celle de George Sand. Ainsi la description des Landes, au chapitre 5 du tome II, mais surtout la peinture du couvent des Augustines, dirigé par madame de Lancastre, et où d'innombrables détails proviennent du séjour d'Aurore à la communauté des Anglaises. De l'intrigue même de Rose et Blanche il n'y a rien à retenir.
Horace et Laorens sont deux jeunes hommes sans grand relief. L'un aime la comédienne Rose, qui devient religieuse. L'autre, après avoir commis envers Blanche, alors idiote, le pire méfait qui se puisse imaginer, la retrouve le jour où elle va prononcer ses voeux, fait scandale dans la chapelle, la contraint au mariage et la voit mourir au sortir de la bénédiction nuptiale. Ce n'est ni du roman psychologique, ni du roman feuilleton qui tienne la curiosité en haleine. Aussi bien George Sand discernait-elle nettement les défauts de son oeuvre : «Je suis fort aise, écrit-elle à sa mère le 22 février 1832, que mon livre vous amuse. Je me rends de tout mon coeur à vos critiques. Si vous trouvez la sœur Olympie trop troupière, c'est sa faute plus que la mienne. Je l'ai beaucoup connue, et je vous assure que, malgré ses jurons, c'était la meilleure et la plus digne des femmes... En somme, je vous ai dit que je n'avais pas fait cet ouvrage seule. Il y a beaucoup de farces que je désapprouve : je ne les ai tolérées que pour satisfaire mon éditeur, qui voulait quelque chose d'un peu égrillard. Vous pouvez répondre cela pour me justifier aux yeux de Caroline, si la verdeur des mots la scandalise. Je n'aime pas non plus les polissonneries. Pas une seule ne se trouve dans le livre que j'écris maintenant et auquel je ne m'adjoindrai de mes collaborateurs que le nom, le mien n'étant pas destiné à entrer jamais dans le commerce du bel esprit.» En effet, lorsqu'elle rompt avec Jules Sandeau cette courte association intellectuelle, elle garde de lui une partie de son nom pour en faire George Sand. Désormais elle a trouvé sa voie, son style, sa doctrine sociale, sa conception romanesque. C'est Indiana qu'elle compose durant l'hiver de 1831-1832.
Valentine va suivre, puis Lélia : toute une série d'oeuvres spontanées et hardies, révélatrices d'un art nouveau et d'une pensée qui se libère.
CHAPITRE VII - LE ROMAN FÉMINISTE : INDIANA ET VALENTINE
Si, dans un bagage aussi complexe que celui de George Sand, toute classification n'est pas fatalement artificielle et étroite, il semble qu'on puisse diviser ses romans en quatre périodes ou catégories : le roman féministe, le roman socialiste, le roman champêtre, et, durant les dernières années, le roman purement sentimental et romanesque. Sa première manière est une revendication éclatante des droits de la femme. Dans la douzième des Lettres d'un Voyageur, elle discute le reproche, qui lui est adressé par Désiré Nisard, d'avoir voulu réhabiliter l'égoïsme des sens, d'avoir fait la métaphysique de la matière et poursuivi un but antisocial. Elle oppose une dénégation formelle : «Vous dites, monsieur, que la haine du mariage est le but de tous mes livres. Permettez-moi
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