George Sand et ses amis
d'en excepter quatre ou cinq, entre autres Lélia, que vous mettez au nombre de mes plaidoyers contre l'institution sociale, et où je ne sache pas qu'il en soit dit un mot... Indiana ne m'a pas semblé non plus, lorsque je l'écrivais, pouvoir être une apologie de l'adultère. Je crois que dans ce roman (où il n'y a pas d'adultère commis, s'il m'en souvient bien), l'amant (ce roi de mes livres), comme vous l'appelez spirituellement a un pire rôle que le mari. Le Secrétaire intime a pour sujet (si je ne me trompe pas absolument sur mes intentions) les douceurs de la fidélité conjugale. André n'est ni contre le mariage, ni pour l'amour adultère, Simon se termine par l'hyménée, ni plus ni moins qu'un conte de Perrault ou de madame d'Aulnoy ; et enfin dans Valentine, dont le dénoûment n'est ni neuf ni habile, j'en conviens, la vieille fatalité intervient pour empêcher la femme adultère de jouir, par un second mariage, d'un bonheur qu'elle n'a pas su attendre.»
Mais la critique de Désiré Nisard va plus loin et revêt un caractère de grief personnel : «Il serait peut-être, écrivait-il, plus héroïque à qui n'a pas eu le bon lot, de ne pas scandaliser le monde avec son malheur en faisant d'un cas privé une question sociale.» Pour compléter cet argument ad hominem-ou plutôt ad feminam-Nisard ajoute : «La ruine des maris, ou tout au moins leur impopularité, tel a été le but des ouvrages de George Sand.» Voici sa réplique : «Oui, monsieur, la ruine des maris, tel eût été l'objet de mon ambition, si je me fusse senti la force d'être un réformateur.» A quoi se bornait donc son dessein ? A attaquer les abus, les ridicules, les préjugés et les vices du temps. Si elle a incriminé les lois sociales, elle n'y a apporté aucune arrière-pensée subversive : «Qui pouvait me supposer l'intention de refaire les lois du pays ?» Et, quand des saint-simoniens, philanthropes consciencieux, à la recherche de la vérité, lui ont demandé ce qu'elle mettrait à la place des maris, «je leur ai répondu naïvement, dit-elle, que c'était le mariage, de même qu'à la place des prêtres, qui ont tant compromis la religion, je crois que c'est la religion qu'il faut mettre.» Enfin, pour excuser ses défaillances et justifier ses aspirations, elle se place sous l'invocation de la justice, «éternel rêve des coeurs simples.»
Indiana parut le 19 mai 1832. Dans l'Histoire de ma Vie, George Sand affirme que ce roman, composé à Nohant, fut commencé sans projet et sans espoir, voire même sans aucun plan, mais surtout sans aucune des visées sociales que la critique affecta d'y découvrir. «On n'a pas manqué, poursuit-elle, de dire qu'Indiana était ma personne et mon histoire. Il n'en est rien.»
Admettons la véracité de cette déclaration. C'est à l'insu de l'écrivain que sont venus sous sa plume, à la faveur de la fiction, les souvenirs de ses tristesses conjugales. Les malheurs d'Indiana ressemblent à ceux d'Aurore ; il y a une parenté intellectuelle et morale, assez fâcheuse d'ailleurs, entre le colonel Delmare, «vieille bravoure en demi-solde,» et Casimir Dudevant, officier démissionnaire.
Aussi bien, pour découvrir l'idée maîtresse et directrice d'Indiana, il ne suffit pas de suivre les péripéties du roman, il convient encore de comparer les deux préfaces, celle de 1832 et celle de 1842. La première est modeste et plaide presque les circonstances atténuantes pour les audaces de l'ouvrage : «Si quelques pages de ce livre encouraient le grave reproche de tendance vers des croyances nouvelles, si des juges rigides trouvaient leur allure imprudente et dangereuse, il faudrait répondre à la critique qu'elle fait beaucoup trop d'honneur à une oeuvre sans importance... Le narrateur n'a point la prétention de cacher un enseignement grave sous la forme d'un conte ; il ne vient pas donner son coup de main à l'édifice qu'un douteux avenir nous prépare, son coup de pied à celui du passé qui s'écroule. Il sait trop que nous vivons dans un temps de ruine morale, où la raison humaine a besoin de rideaux pour atténuer le trop grand jour qui l'éblouit. S'il s'était senti assez docte pour faire un livre vraiment utile, il aurait adouci la vérité, au lieu de la présenter avec ses teintes crues et ses effets tranchants. Ce livre-là eût fait l'office des lunettes bleues pour les yeux malades.»
De ce même style qui n'est pas exempt de mauvais goût, le
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