George Sand et ses amis
me fassiez pas plus grand ni plus petit que je ne suis. Je me suis livré sans réflexion au plaisir de vous voir et de vous aimer. Je vous ai aimée, non pas chez vous, près de vous, mais ici, dans cette chambre où me voilà seul à présent. C'est là que je vous ai dit ce que je n'ai dit à personne.
«Vous souvenez-vous que vous m'avez dit un jour que quelqu'un vous avait demandé si j'étais Octave ou Célio, et que vous aviez répondu : «Tous les deux, je crois ?» Ma folie a été de ne vous en montrer qu'un, George, et quand l'autre a parlé, vous lui avez répondu comme à...
(Les deux lignes suivantes ont été coupées.)
«A qui la faute ? A moi. Plaignez ma triste nature qui s'est habituée à vivre dans un cercueil scellé, et haïssez les hommes qui m'y ont forcé. «Voilà un mur de prison, disiez-vous hier, tout viendrait s'y briser.»-Oui, George, voilà un mur ; vous n'avez oublié qu'une chose, c'est qu'il y a derrière un prisonnier.
«Voilà mon histoire tout entière, ma vie passée, ma vie future. Je serai bien avancé, bien heureux, quand j'aurai barbouillé de mauvaises rimes les murs de mon cachot. Voilà un beau calcul, une belle organisation, de rester muet en face de l'être qui peut vous comprendre, et de faire de ses souffrances un trésor sacré pour le jeter dans toutes les voiries, dans tous les égouts, à six francs l'exemplaire.
Pouah !
«Plaignez-moi, ne me méprisez pas. Puisque je n'ai pu parler devant vous, je mourrai muet. Si mon nom est écrit dans un coin de votre coeur, quelque faible, quelque décolorée qu'en soit l'empreinte, ne l'effacez pas. Je puis embrasser une fille galeuse et ivre-morte, mais je ne puis embrasser ma mère.
«Aimez ceux qui savent aimer, je ne sais que souffrir. Il y a des jours où je me tuerais ; mais je pleure ou j'éclate de rire ; non pas aujourd'hui, par exemple.
«Adieu, George, je vous aime comme un enfant.»
L'appel de Musset fut entendu, sa prière exaucée, dans les tout premiers jours d'août. On le peut pressentir, d'après une lettre que George Sand adressait à Sainte-Beuve le 3 août et où elle semble secouer le pessimisme de Lélia. Son aversion, récemment déclarée, pour l'amour n'est plus irréductible. «Quoique j'en médise souvent, écrit-elle, comme je fais de mes plus saintes convictions aux heures où le démon m'assiège, je sais bien qu'il n'y a que cela au monde de beau et de sacré.» Vite, elle éprouve le besoin de crier sa passion, de la rendre publique et de l'arborer comme une cocarde. Elle s'en ouvre à Sainte-Beuve, le 25 août, dans les termes les plus explicites ; car elle veut qu'il voie clair dans sa conduite, qu'il connaisse ses actions et ses intentions :
«Je me suis énamourée, et cette fois très sérieusement, d'Alfred de Musset. Ceci n'est plus un caprice, c'est un attachement senti... Il ne m'appartient pas de promettre à cette affection une durée qui vous la fasse paraître aussi sacrée que les affections dont vous êtes susceptible.
J'ai aimé une fois pendant six ans [Aurélien de Sèze.], une autre fois pendant trois [Jules Sandeau.], et, maintenant, je ne sais pas de quoi je suis capable. Beaucoup de fantaisies ont traversé mon cerveau, mais mon coeur n'a pas été aussi usé que je m'en effrayais ; je le dis maintenant parce que je le sens.
«Loin d'être affligée et méconnue [Ceci est un retour vers Prosper Mérimée.], je trouve cette fois une candeur, une loyauté, une tendresse qui m'enivrent. C'est un amour de jeune homme et une amitié de camarade. C'est quelque chose dont je n'avais pas l'idée, que je ne croyais rencontrer nulle part, et surtout là.
«Je l'ai niée, cette affection, je l'ai repoussée, je l'ai refusée d'abord, et puis je me suis rendue, et je suis heureuse de l'avoir fait. Je m'y suis rendue par amitié plus que par amour, et l'amour que je ne connaissais pas s'est révélé à moi sans aucune des douleurs que je croyais accepter.»
Après cette affirmation qui n'est flatteuse ni pour Casimir Dudevant, ni pour Aurélien de Sèze, ni pour Jules Sandeau, ni pour Prosper Mérimée, George Sand ajoute, comme si elle réclamait la bénédiction d'un confesseur :
«Je suis heureuse, remerciez Dieu pour moi... Si vous êtes étonné et effrayé peut-être de ce choix, de cette réunion de deux êtres qui, chacun de leur côté, niaient ce qu'ils ont cherché et trouvé l'un dans l'autre, attendez, pour en augurer les suites, que je vous
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