George Sand et ses amis
Alfred fut placé près d'elle à table. Elle l'engagea simplement et avec bonhomie à venir chez elle. Il y alla deux ou trois fois, à huit jours d'intervalle, et puis il y prit habitude et n'en bougea plus.» C'est outre mesure précipiter les événements. George Sand ne fut pas tout à fait si expéditive ; mais en la calomniant, soit dans la Biographie, soit dans Lui et Elle, Paul de Musset a toujours cru remplir un devoir de famille.
Le vrai est que, le 24 juin, Alfred de Musset adressait à George Sand les fameux vers, Après la lecture d'Indiana, puis, quelques jours plus tard, un passage de Rolla qu'il était en train de composer et qu'accompagnait un billet cérémonieux, ainsi conçu :
«Voilà, Madame, le fragment que vous désirez lire, et que je suis assez heureux pour avoir retrouvé, en partie dans mes papiers, en partie dans ma mémoire. Soyez assez bonne pour faire en sorte que votre petit caprice de curiosité ne soit partagé par personne.
«Votre bien dévoué serviteur,
«Alfred de MUSSET.»
Près de deux mois s'écoulent. Lélia paraît dans les premiers jours d'août 1833, puisqu'il en est fait mention au Journal de la Librairie du 10 août. George Sand offre un exemplaire du roman à Alfred de Musset, avec cette dédicace sur le tome premier : «A monsieur mon gamin d'Alfred, George», et cette autre sur le tome II : «A monsieur le vicomte Alfred de Musset, hommage respectueux de son dévoué serviteur, George Sand.» Elle le prenait, on le voit, sur un ton assez familier, et lui-même marquait dans sa correspondance une progression d'intimité qu'il n'est pas sans intérêt de noter. Voici un premier billet, encore réservé d'allure :
«Votre aimable lettre a fait bien plaisir, Madame, à une espèce d'idiot entortillé dans de la flanelle comme une épée de bourgmestre... Que vous ayez le plus tôt possible la fantaisie de perdre une soirée avec lui, c'est ce qu'il vous demande surtout. Votre bien dévoué,
«Alfred de MUSSET.»
Quelques jours plus tard, la camaraderie s'accentue :
«Je suis obligé, Madame, de vous faire le plus triste aveu : je monte la garde mardi prochain ; tout autre jour de la semaine ou ce soir même, si vous étiez libre, je suis tout à vos ordres et reconnaissant des moments que vous voulez bien me sacrifier. Votre maladie n'a rien de plaisant, quoique vous ayez envie d'en rire. Il serait plus facile de vous couper une jambe que de vous guérir. Malheureusement on n'a pas encore trouvé de cataplasme à poser sur le coeur. Ne regardez pas trop la lune, je vous en prie, et ne mourez pas avant que nous ayons exécuté ce beau projet de voyage dont nous avons parlé. Voyez quel égoïste je suis ; vous dites que vous avez manqué d'aller dans l'autre monde ; je ne sais vraiment pas trop ce que je fais dans celui-ci.»
«Tout à vous de coeur.
«Alfred de MUSSET.»
Dans une lettre, c'est souvent le post-scriptum qu'il faut lire avec le plus d'attention, et c'est la formule finale qui laisse volontiers pressentir l'intensité des sentiments. Ici, «tout à vous de coeur» a remplacé «votre bien dévoué serviteur» du début. Puis voici le billet par lequel il accuse réception des deux nouveaux volumes qui lui sont communiqués en bonnes feuilles :
«J'ai reçu Lélia. Je vous en remercie, et, bien que j'eusse résolu de me conserver cette jouissance pour la nuit, il est probable que j'aurai tout lu avant de retourner au corps de garde.
«Si, après avoir raisonnablement trempé vos doigts dans l'encre, vous vous couchez prosaïquement, je souhaite que Dieu vous délivre de votre mal de tête. Si vous avez réellement l'idée d'aller vous percher sur les tours de Notre-Dame, vous serez la meilleure femme du monde, si vous me permettez d'y aller avec vous. Pourvu que je rentre à mon poste le matin, je puis disposer de ma veillée patriotique. Répondez-moi un mot, et croyez à mon amitié sincère.
«Alfred de MUSSET.»
Sur tous les premiers incidents de cette liaison littéraire et sentimentale, l'Histoire de ma Vie est silencieuse, la Correspondance de George Sand, éditée par les soins de son fils, ne contient aucune lettre, la Biographie d'Alfred de Musset par son frère est muette ou de mauvaise foi. Les seuls documents authentiques et dignes de créance sont les lettres de George Sand à Sainte-Beuve, publiées chez Calmann Lévy par M. Emile Aucante avec une introduction de M. Rocheblave, et les lettres inédites d'Alfred de
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