George Sand et ses amis
appelait «des circonstances de mauvais augure !»
L'Histoire de ma Vie, où George Sand glisse sur ce voyage comme chat sur braise et mentionne à peine le nom de son compagnon, en indiquant assez étrangement qu'elle regrettait de ne pas avoir ses enfants avec elle, fournit cependant quelques détails pour le trajet en bateau à vapeur de Lyon à Avignon. Ils lièrent connaissance avec Beyle, qui, sous le pseudonyme de Stendhal, a publié des oeuvres vantées outre mesure par toute une école légèrement fétichiste, éprise de cette manière sèche, satirique et coupante. Il regagnait Civita-Vecchia, où il occupait vaguement un poste de consul. George Sand signale le brillant de sa conversation et l'amertume de son esprit, immuablement dédaigneux et moqueur. «Je ne crois pas, dit-elle, qu'il fût méchant ; il se donnait trop de peine pour le paraître.» C'était une affectation, une pose. En deux jours elle eut fait le tour de cette intelligence que plusieurs déclarent si profonde et si complexe. Au Pont-Saint-Esprit, «il fut d'une gaieté folle, se grisa raisonnablement, et, dansant autour de la table avec ses grosses bottes fourrées, devint quelque peu grotesque et pas du tout joli.» A Avignon, il manifesta ses sentiments esthétiques et son horreur de l'idolâtrie, en apostrophant dans une église un vieux christ en bois peint, énorme et fort laid, auquel il montrait le poing furieusement.
On se sépara à Marseille sans regret. Beyle apparaissait ennuyeux, fatigant et même obscène en ses propos. Il se rendait à Gênes par la voie de terre. «Je confesse, dit George Sand, que j'avais assez de lui, et que, s'il eût pris la mer, j'aurais peut-être pris la montagne.
C'était, du reste, un homme éminent-ajoute-t-elle avec bienveillance-d'une sagacité plus ingénieuse que juste en toutes choses appréciées par lui, d'un talent original et véritable, écrivant mal, et disant pourtant de manière à frapper et à intéresser vivement ses lecteurs.»
De Marseille George Sand adressait, le 18 décembre, à son fils Maurice une lettre qu'elle ne montra sans doute pas à Alfred de Musset. Elle ne pouvait tenir à l'un et à l'autre le même langage. Il lui fallait être maternelle en partie double. «Mon cher petit, écrivait-elle au collégien, je vais m'embarquer sur la mer pour aller en Italie. Je n'y resterai pas longtemps ; ne te chagrine pas. Ma santé me force à passer quelque temps dans un pays chaud. Je retournerai près de toi, le plus tôt possible. Tu sais bien que je n'aime pas à vivre loin de mes petits miochons, bien gentils tous deux, et que j'aime plus que tout au monde. Je voudrais bien vous avoir avec moi et vous mener partout où je vais.» En vérité, Maurice et Solange eussent été plutôt gênants durant ce voyage sentimental, et les raisons de santé qu'invoque George Sand ne nous semblent pas péremptoires. La fièvre la prit à Gênes dont le climat lui était défavorable, et c'est là aussi que surgirent ses premiers dissentiments avec Alfred de Musset. Sur ce point Lui et Elle, par miracle, ne contredit pas Elle et Lui. Dans l'un et l'autre roman, Gênes est le théâtre des querelles naissantes entre Laurent et Thérèse, entre Olympe et Edouard de Falconey. La version de George Sand est assez imprécise : on est en présence d'un jeune homme paresseux et dissipé, ou même dissolu. La fiction de Paul de Musset reproche, au contraire, à la jeune femme d'avoir tenu des propos étranges devant deux Italiens, de familles patriciennes, avec qui ils avaient fait la traversée et qu'ils retrouvaient à Gênes.
Comme on parlait de la défense de cette ville par Masséna, elle aurait raconté que, «dans ce temps-là, sa mère accompagnait à l'armée un officier supérieur, à qui son père l'enleva pour l'épouser, et que sa naissance avait été un résultat si prompt de cette union que la célébration du mariage avait précédé d'un mois seulement son entrée en ce monde.» Malgré le mécontentement de son ami et l'étonnement des deux Italiens, elle insista, paraît-il, en raillant les préjugés de gentilhommerie et en vantant sa mère qui était une femme forte, obéissant au voeu de la nature.
Nous laisserons cette aventure pour compte à l'auteur de Lui et Elle, d'autant que nul indice n'en vient manifester l'authenticité et qu'elle doit émaner de l'imagination haineuse et perfide de Paul de Musset.
Du voyage par mer de Gênes à Livourne, de la
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