Gilles & Jeanne
France qui lui importe.
— Je te suivrai partout, Jeanne, répète-t-il, au ciel et en enfer !
4
Et c’est l’automne, et c’est l’hiver. Jeanne qui sait qu’elle n’a qu’une année devant elle – guère plus – se morfond en cette cour rêveuse et futile. On la sépare d’Alençon, envoyé en Normandie. Gilles disparaît mystérieusement. Jeanne suit la cour, d’un château à l’autre, à Bourges, Sully, Montfaucon-en-Berry. Pour tromper sa faim d’action, elle met le siège devant Saint-Pierre-le-Moutiers – et c’est un succès – puis devant La Charité-sur-Loire – et c’est l’échec. Le roi la cajole. Il la dote, l’anoblit, octroie l’exemption des impôts aux habitants de Greux et de Domrémy. Enfin, c’est le drame de Compiègne.
Elle s’est rendue en cette ville le 23 mai 1430 avec trois à quatre cents combattants pour tenir tête au duc de Bourgogne qui se prépare à l’attaquer. Le 24 au matin, on lui dit qu’une forte escarmouche a lieu devant la ville. Jeanne se jette dans la mêlée et donne la chasse à un détachement de Bourguignons en fuite. Elle n’écoute pas ses gens qui la supplient de ne pas s’aventurer plus avant en terrain ennemi. Quand elle fait enfin demi-tour, il est trop tard. La retraite est coupée. Elle se bat avec acharnement pour se frayer un passage jusqu’au pont-levis. Le capitaine de la place, Guillaume de Flavy, voyant le nombre des Bourguignons et des Anglais qui approchent, donne l’ordre de relever le pont et de fermer la porte. Un archer saisit Jeanne par son mantelet de drap d’or et la fait tomber de cheval. La belle aventure est terminée. Elle aura duré moins de dix-huit mois. Commence une passion de larmes, de boue et de sang qui s’achève le mercredi 30 mai 1431 sur le bûcher de Rouen.
Gilles cependant s’est retiré dans ses terres vendéennes. Il se soucie comme d’une guigne du bâton de maréchal de France que lui a offert le roi en reconnaissance de ses services. Ce n’est ni la guerre ni la politique qui l’intéressent. C’est le seul cours d’une aventure personnelle et mystique qui a commencé le jour de sa rencontre avec Jeanne. Or depuis l’échec devant Paris, il semble qu’a pris fin l’état de grâce où vivait Jeanne et qu’elle lui avait fait partager. Tribulation redoutable, car il a partie liée avec elle, et il la suivra jusqu’en enfer s’il le faut. En attendant, il berce sa mélancolie en faisant comme le roi, comme la plupart des seigneurs de ce temps : il chemine en grand arroi de forteresse en résidence. Les paysans et les bûcherons ébahis regardent passer ce somptueux cortège d’officiers et de prélats que suit un train de chariots imposant. Non, ce n’est pas une expédition guerrière. C’est seulement le seigneur de Rais, sa suite et son intendance qui se transportent de Champtocé à Machecoul et de Tiffauges à Pouzauges. Si vastes sont les possessions du sire de Rais et si nombreuses ses résidences qu’il pourrait à coup sûr opérer très longtemps ces déménagements sans revenir au même endroit.
Mais un jour ces déambulations s’arrêtent. Une image transportée de bouche à oreille de Compiègne en Vendée est venue s’imposer au cerveau fiévreux de Gilles : Jeanne arrachée de son cheval par un archer cramponné à son mantelet de soie. Jeanne par terre sur laquelle se rue la piétaille bourguignonne.
Gilles ne peut plus rester hors du jeu. Où se trouve présentement la cour de France ? À Sully-sur-Loire dont le château appartient à Georges de la Trémouille, en grande faveur auprès de Charles, mais qui a toujours pris ombrage de la gloire de Jeanne. Gilles s’y précipite et demande d’abord audience à Yolande d’Aragon, belle-mère du roi. C’est une grande dame. Elle traite avec une familiarité enjouée ce maréchal de France qui se permet de préférer la solitude de ses landes aux intrigues de la cour. Elle minaude.
— Seigneur de Rais ! Quelle surprise ! Voilà plus d’un an que vous avez disparu. On parlait de vous ici même hier soir. On vous imaginait terré dans l’une de vos forêts, comme un sanglier. Qu’avez-vous donc fait tout ce temps ? Qu’est-ce qui vous fait sortir de votre trou ?
— Madame, répond Gilles, ce qui me fait sortir de mon trou, ce sont les mauvaises nouvelles qui me parviennent concernant Jeanne.
Nous y voilà, pense Yolande. Toujours solidaires, ces deux mal dégrossis !
— Pauvre
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