Gisors et l'énigme des Templiers
et
les yeux tournés vers l’infini.
III
LE RENIEMENT
De toutes les accusations qui ont été portées contre le
Temple, celle qui concerne le reniement de Jésus, exigé lors de l’admission
d’un nouveau frère, est bien entendu la plus grave. Cette accusation a été mise
en avant par tous les ennemis du Temple, et c’est pour cette raison que l’Ordre
a été dissous officiellement par Clément V. C’est également l’accusation
la mieux fondée. Elle est absolument incontestable : en nier la réalité
serait aller contre tous les témoignages. Et pourtant,
c’est l’accusation qui demeure la plus mystérieuse, la plus inexplicable, la
plus étrange.
Sur le reniement, tous les aveux sont concordants, précis et
accablants. Lorsqu’on élimine les déclarations faites sous la torture, et qui
ne peuvent en aucun cas être retenues, il en reste encore plus que suffisamment
pour faire la lumière sur la réalité de ce fait. Ce sont d’abord les aveux de
Jacques de Molay et des trois autres dignitaires lors de leur premier
interrogatoire devant l’Université et l’inquisiteur de Paris. Ces aveux ont été
réitérés à Chinon, en présence de trois cardinaux dépêchés à cet effet par le
pape. Ce sont ensuite les aveux obtenus par le pape lui-même lors de l’audition
privée de soixante-douze Templiers. Il faut y ajouter les diverses déclarations
enregistrées en Angleterre et en Allemagne et les dépositions recueillies par
la Commission pontificale, à Sens, du 11 avril au 13 mai 1310.
Ces dépositions sont particulièrement intéressantes parce qu’elles sont très
circonstanciées.
Ainsi en est-il de la déclaration du frère Jean de
Saint-Benoît, sur son lit de mort : « J’ai été reçu voici quarante
ans à La Rochelle par le frère Paul de Légion. Il me dit, lors de ma réception,
qu’il fallait renier Notre-Seigneur. Je ne me souviens plus s’il le nomma
Jésus, le Christ ou le Crucifié, il me dit que c’était tout un. Je reniai de
bouche et non de cœur. » Ce frère, à l’article de la mort, n’avait
évidemment plus rien à perdre : pourquoi aurait-il menti ? Voici
maintenant ce que dit Jean l’Anglais : « J’ai été reçu à La Rochelle
en Saintonge par le frère Pierre de Madit… Il me conduisit derrière l’autel et
me dit de renier Jésus trois fois et de cracher sur une croix qu’on me présentait.
Sur son ordre, je reniai Jésus trois fois, de bouche et non de cœur, et je
crachai sur la croix. » Tout est identique pour le frère Jean Taillefer,
du diocèse de Langres : « Le jour de ma réception, sur l’ordre du
chapelain qui me recevait, je reniai le Christ, une fois seulement ; je le
fis de bouche et non pas de cœur. On m’enjoignit ensuite de cracher sur la
croix : je crachai, une fois seulement et à côté. » On remarquera
que, dans ce cas, c’est un prêtre qui ordonne le reniement.
D’autres témoins font allusion au règlement de l’Ordre.
« Le frère apporta une croix et me dit de cracher dessus et de la fouler
au pied en reniant Jésus trois fois. J’en étais tout stupéfait, et je m’y
refusai. Alors le frère me dit qu’il le fallait, que c’était le règlement de
l’Ordre du Temple » (Huguet de Bure, du diocèse de Langres). « Le
frère Jean me donna l’ordre, avant de m’imposer le manteau, de renier trois
fois Jésus. De cela, j’en suis sûr. Trois fois je le reniai en disant : Je
renie Jésus, je renie Jésus, je renie Jésus. Après quoi, le précepteur fit
apporter une croix et me pria de cracher sur elle ; je crachai à côté, me
refusant à cracher dessus. Il me dit que c’était le règlement, qu’il me
l’expliquerait, mais il ne devait rien m’expliquer » (Geoffroy de Thatan,
du diocèse de Tours). « Le frère Pierre de Braelle, précepteur de
Sommereux, me conduisit dans une autre pièce où, à huis clos, il me dit de
renier Dieu. Terrifié, je refusai. Il répliqua qu’il le fallait, sinon il
m’arriverait malheur. J’en fus frappé d’épouvante… Je reniai Dieu comme il
m’était demandé, de bouche et non de cœur, et une fois seulement »
(Baudouin de Saint-Just, du diocèse d’Amiens). « Le frère Raoul
m’enjoignit de renier Notre-Sire qui pendit au bois de la croix. J’y répugnais,
vous le pensez bien, mais craignant qu’ils me tuent, car ils avaient une grande
épée dégainée, je finis par renier le Christ en disant trois fois de bouche et
non de
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