Gisors et l'énigme des Templiers
les paroles rituelles (« ceci
est mon corps ») qui font venir, selon le dogme de l’Eucharistie, Jésus
corporellement sous les apparences du pain. Une telle omission serait même
logique. Mais où est la logique dans cette affaire ?
En effet, tous les Templiers se déclarent chrétiens, meurent
en chrétiens, réclament d’entendre la messe, se confessent, communient,
reçoivent l’extrême-onction. Et ce sont pourtant les mêmes qui ont sciemment –
même si c’est de bouche et non de cœur – pratiqué le rituel du reniement de
Jésus. Cela est invraisemblable, et inexplicable… On a émis une hypothèse qui
fait intervenir l’influence cathare. Elle peut sans doute être formulée,
d’autant plus que le procès des Templiers s’ouvre soixante-trois ans seulement
après le bûcher de Montségur. On sait aussi que dans la Croisade contre les
Cathares, les Templiers se sont montrés plutôt réservés, et que certains
d’entre eux ont aidé les « Bons Hommes ». Sans parler de collusion
générale entre Templiers et Cathares, il faut bien reconnaître certaines
indulgences, certaines alliances même. Dans le Razès, en particulier, les
propriétaires suspects de catharisme ont confié leurs biens aux Templiers de
peur de les voir saisir par les agents du roi. Il se peut également que, lors
de la débâcle cathare, un certain nombre de « patarins », comme on
les appelait ironiquement, soient entrés dans le Temple pour se mettre à
l’abri. Il ne faut pas oublier cet aspect « Légion étrangère » du
Temple, surtout à la fin du XIII e siècle. Et ces
Cathares, devenus Templiers, auraient effectivement pu infléchir la doctrine du
Temple. Mais le Temple n’avait guère de doctrine, du moins officiellement.
Ces remarques purement historiques ne suffisent pas à
emporter l’adhésion. C’est sur un autre plan qu’il faut examiner l’hypothèse.
Il y a d’abord l’omission des paroles de la consécration. D’après les aveux
obtenus par l’inquisition, cette omission était également pratiquée par
certains prêtres catholiques secrètement ralliés aux croyances cathares ;
ils étaient sans doute peu nombreux. Quant aux prêtres templiers, il ne semble
pas qu’ils aient suivi cette demande d’omission des paroles sacramentelles.
Il y a ensuite le reniement qui fait penser au rejet, par
les Cathares, du symbole de la croix en tant qu’instrument du supplice d’un
Dieu. Mais il n’est dit nulle part que les Cathares reniaient Jésus ou
crachaient sur la croix. Loin de renier le Christ, les Cathares vénéraient en
lui un Être céleste et ne niaient aucunement son incarnation, c’est-à-dire son
abaissement dans la chair, puisqu’au contraire il était celui qui montrait la
voie de la remontée vers le Royaume de Lumière. Alors que les Templiers, si
l’on comprend bien, reniaient en Jésus le Dieu, et non pas l’homme, et c’est
cet homme qu’ils rejetaient. L’analogie est loin d’être probante.
De plus, il n’y avait au Temple aucun processus
d’initiation, du moins pour devenir membre exotérique de l’Ordre. S’il y a eu une initiation – ce qui est très probable –, elle ne
concernait que certains membres, et elle n’avait lieu que bien après la
réception au sein de l’Ordre. Et surtout, dans le Temple, il n’y avait aucun
enseignement particulier, alors que chez les Cathares, comme chez tous les
hérétiques, un endoctrinement était pratiqué, parfois sur une grande échelle.
Enfin, les Cathares observaient une règle de vie
complètement différente de celle des Templiers. En premier lieu, les Cathares
se refusaient à combattre et à verser le sang, alors que les Templiers étaient
des moines combattants : ceci paraît inconciliable. En second lieu, les
Cathares vivaient dans le dénuement. Ce n’était pas le cas des Templiers qui,
s’ils faisaient vœu de pauvreté individuelle, ne manquaient de rien et
regorgeaient plutôt de richesses. En troisième lieu, les Cathares s’abstenaient
le plus possible de participer aux cérémonies de l’Église chrétienne :
s’ils le faisaient parfois, c’était pour donner le change. L’attitude des
Templiers fut exactement contraire : ils réclamaient, même dans leurs
prisons, à cor et à cri, d’assister à la messe et de recevoir les sacrements.
Or, on sait que les Cathares s’abstenaient de tous les sacrements, n’en
reconnaissant qu’un seul, le fameux Consolamentum .
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