Gisors et l'énigme des Templiers
En
quatrième lieu, il y a une différence fondamentale d’attitude en face de la
mort. Chez les Cathares, on ne reniait pas sa croyance, même au prix du bûcher.
S’il y a eu quelques Cathares « repentis » ayant regagné le giron de
l’Église, il faut bien reconnaître que la plupart d’entre eux ont préféré la
mort plutôt que de renoncer à leur foi. Or, les Templiers, tout en dénonçant
les « pratiques mauvaises » qui s’étaient infiltrées dans l’Ordre,
n’ont en fait que cherché à sauver leur peau : ils n’étaient guère
disposés, à commencer par les dignitaires, à risquer leur vie pour défendre les
« énormités » dont parle Jacques de Molay.
De plus, les Inquisiteurs, au début du XIV e siècle,
étaient fort avertis de la doctrine et des pratiques des Cathares :
c’était l’objet le plus courant de leurs procès. S’ils avaient trouvé quelque
concordance entre l’hérésie nouvelle qu’ils découvraient et celle qui leur
était si familière, ils n’auraient pas manqué d’en faire état. On pourrait en
dire autant des sbires de Philippe le Bel : dans leurs accusations, ils se
seraient fait une joie d’apporter des éléments décisifs pour convaincre les
Templiers d’hérésie abominable. Non, il est impossible de prétendre à une
influence cathare sur le Temple. Ce sont deux conceptions du monde et de la
religion qui s’opposent formellement.
Une autre hypothèse a été proposée, celle de l’influence
musulmane. Elle se heurte, elle aussi, à d’innombrables contradictions. Sur un
plan purement matériel et concernant la fondation et la structure de l’Ordre,
on peut évidemment discerner un certain parallélisme entre le Temple et
l’institution musulmane du Ribat . Le Ribat était un centre militaire et religieux, installé aux frontières du monde
musulman. Le service, volontaire et temporaire, était un acte d’ascèse, et il
était considéré comme un des aspects du devoir du djihad ,
la guerre sainte de l’Islam. Les Ribat étaient
particulièrement nombreux en Espagne. Mais cette analogie demeure purement
formelle.
Il existe aussi des analogies entre le Temple et la fameuse
secte des Haschischins , ou « Assassins »,
dont l’existence ne sera révélée que par le livre de Marco Polo, alors qu’elle
n’existera plus. C’est à l’époque de la fondation du Temple qu’un certain
Hassan s’établit dans le Caucase et fonde une secte religieuse d’inspiration
chiite. Une branche de cette secte s’établit ensuite dans les montagnes de
Syrie. Un chef jouissant d’une forte autorité, le « Vieux de la
Montagne », dirige cette communauté mystique, dont les membres les plus
purs et les plus sûrs, les fidaï , furent appelés Haschischins
parce que, pour certaines opérations, ils se droguaient au haschich. Une autre
explication fait dériver le mot Assassin de l’arabe assas ,
qui veut dire « gardien ». Les partisans du Vieux de la Montagne se
prétendaient effectivement les « Gardiens de la Terre sainte », comme
les Templiers. Quoi qu’il en soit, le mot « assassins » est passé
dans le langage courant avec le sens qu’il a actuellement, car la méthode d’action
favorite du « Vieux » et de ses fidèles était l’assassinat
terroriste. Il est en tout cas établi que les Templiers eurent, à plusieurs
reprises, des contacts avec la secte du « Vieux », et parfois même
des alliances temporaires. On ne se battait pas toujours en Terre sainte :
il y avait des périodes de trêve où l’on échangeait non seulement des biens
matériels, mais aussi des idées. Et puis, les Chrétiens, cherchant à exploiter
les divisions du monde musulman, faisaient alliance avec une fraction contre
une autre. Cela ne veut pas dire qu’il y ait eu contamination. D’ailleurs, le
but des Assassins était probablement de fonder un vaste État ismaélien en Iran,
avec des prolongements sur tout le Moyen-Orient. Ce sont les Mongols qui, en
1265, incendièrent les forteresses des Assassins et tuèrent le dernier
« Vieux de la Montagne ».
On a prétendu que les Assassins avaient une doctrine
mystique secrète, et que, dans leur repaire, il y avait une bibliothèque fort
bien fournie. Mais comme celle-ci a été entièrement brûlée, il est facile
d’avancer n’importe quelle supposition. Tout ce que l’on sait, c’est que la
secte du « Vieux » se rattachait au mouvement ismaélien, lui-même
issu du chiisme :
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