Gisors et l'énigme des Templiers
c’était à la fois une sorte de néo-platonisme et de
messianisme, rejetant la lettre du Coran pour en donner une interprétation
symbolique. Cela pourrait constituer une analogie : lorsque les Templiers
reniaient Jésus tout en s’affirmant parfaits chrétiens, ils ne faisaient pas
autre chose que de refuser de prendre l’Évangile à la lettre pour y voir un
texte symbolique. Quant à savoir s’il y a eu une influence directe des
Assassins sur les Templiers, c’est impossible à dire. D’ailleurs, si, chez les
Ismaéliens, il y avait enseignement, discussion de textes et initiation assez
longue, nous ne découvrons rien de semblable chez les Templiers, du moins dans
le Temple officiel, exotérique . Et, quelque
interprétation qu’on puisse en faire, le reniement de Jésus et le crachat sur
la croix ne paraissent guère conformes à l’état d’esprit musulman. Il est vrai
que ce monde musulman était lui-même divisé en de nombreuses familles
spirituelles ayant chacune leurs propres interprétations des textes et leur
propre mystique. Sans absolument rejeter toute influence d’un ésotérisme
musulman sur le Temple, il faut convenir que, sur ce sujet, nous ne savons pas
grand-chose.
En partant du cri de guerre des Templiers qui était
« Vive Dieu Saint Amour ! », on en est venu à considérer de
possibles apports de l’Orient chrétien, où subsistaient de nombreuses sectes
parallèles au Christianisme officiel, dont certaines étaient d’essence
nettement gnostique. C’est l’hypothèse qui paraît la plus vraisemblable. À ce
moment-là, c’est plutôt à Chypre, et non en Terre sainte, que le Temple aurait
été, sinon envahi, du moins influencé par les idées gnostiques : le fait
de considérer Jésus comme un homme et non comme un Dieu est proprement
gnostique. Chypre était alors le creuset où venaient se fondre toutes les
doctrines orientales, toutes les légendes aussi, y compris celle du fameux
« Prêtre Jean », successeur de Salomon et modèle parfait du
prêtre-roi. Les Templiers, par leur double nature, par leur appartenance aux
deux classes, sacerdotale et guerrière (d’où émane le roi), n’avaient-ils pas
pour but lointain de constituer un empire universel à la tête duquel se
trouvait un prêtre-roi, ce fameux « Grand Monarque » qu’aurait bien
voulu être Philippe le Bel dans ses rêveries alimentées par Raymond
Lulle ?
Dans ce domaine, nous en sommes réduits aux conjectures. On
peut admettre que le long séjour des Templiers à Chypre a eu pour effet de les
mettre en contact avec les représentants de nombreuses
« fraternités » plus ou moins secrètes, participant à la fois du
Christianisme oriental et de la Tradition gnostique. Mais il est impossible
d’en tirer des conclusions. De plus, n’oublions pas qu’à l’intérieur du Temple,
il ne semble pas y avoir eu de doctrine propre à l’Ordre. Les anomalies qu’on
peut remarquer ne sont que des pratiques qui ne sont même pas comprises par la
grande masse. À moins d’en revenir à l’idée d’un double Temple ,
c’est-à-dire à l’existence d’une hiérarchie parallèle, on ne peut guère parler
d’un ésotérisme templier.
Reste toujours la question du reniement. Même s’il n’a pas
été compris par l’ensemble des frères du Temple, il constituait
incontestablement la seule et véritable entrée dans le Temple .
Les dignitaires ne l’ont point nié, lors de leurs interrogatoires. Mais ils n’ont rien dit à ce sujet et sont en quelque sorte morts
pour garder le secret . Ce secret était-il donc inavouable ?
Le problème concerne évidemment la personne du Christ Jésus.
Et il était extrêmement grave parce que, mal posé, ou révélé d’une façon qui
pourrait troubler les consciences, il risquait de remettre en cause toute
l’Église catholique romaine, aussi bien dans son dogme officiel et exotérique que dans ses structures. Or, pour ce qui est des
structures, l’Église romaine, ainsi que tous ceux qui s’appuyaient sur elle,
c’est-à-dire les rois, les rois de France en particulier, n’étaient pas prêts,
au début du XIV e siècle, à risquer de les
ébranler. Il y avait trop d’intérêts matériels en jeu. L’Église romaine, aidée
par la royauté capétienne, a cassé, anéanti le Catharisme parce que celui-ci,
par sa doctrine même, aussi bien que par son genre de vie, faisait vaciller la
hiérarchie catholique et tous les intérêts
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