Gisors et l'énigme des Templiers
ciel à la terre, et jusqu’aux enfers, la Chrétienté forme un
grand organisme parfaitement cohérent. C’est l’idéal de Bernard de Clairvaux.
Il le défendra toute sa vie. Et ces conceptions n’ont absolument rien à voir
avec la doctrine souple et toujours remise en cause des druides préchrétiens et
des abbés-évêques des monastères irlandais du haut Moyen Âge. Mais cela justifie
pleinement l’intérêt qu’a porté l’abbé de Clairvaux aux chevaliers du Temple.
Ceux-ci avaient en effet tout pour lui plaire. Bernard
voyait en eux la possibilité de créer une milice du Christ qui pût, sous
l’autorité exclusive de la Papauté, contribuer à assurer la cohésion du peuple
chrétien en éliminant ceux qui ne voulaient pas en faire partie, c’est-à-dire
les Infidèles, les Musulmans, et qui, sur le continent européen, pût quadriller
efficacement de vastes territoires et les garder de tout bouleversement. On
peut alors, à bon droit, supposer que Bernard de Clairvaux a voulu sciemment
l’implantation du Temple à travers toute l’Europe en un réseau aussi serré que
possible parce qu’il garantissait l’unité du monde chrétien. Un seul chef, le
pape, une seule foi, la foi chrétienne, un seul peuple, le peuple chrétien.
C’est l’idéal de saint Bernard et des Cisterciens. Les Templiers devaient
fournir les bras nécessaires à cette action.
On a supposé, assez imprudemment, que Bernard aurait eu
connaissance de l’existence de certains documents concernant les premiers temps
du Christianisme, qui auraient été déposés en lieu sûr à Jérusalem, et qu’il
aurait envoyé les Templiers en mission secrète pour les récupérer. Point n’est
besoin de recourir à cet argument pour expliquer l’attitude de l’abbé de
Clairvaux à l’égard du Temple. Dans sa vision grandiose de la Chrétienté, rien
ne pouvait être accompli sans la présence permanente d’une « force
tranquille » composée de « Soldats du Christ » mainteneurs de la
paix sociale, gardiens d’un ordre divin immuable. Le Temple, force
internationale relevant seulement de la Papauté – comme les Cisterciens
d’ailleurs –, devait être, selon lui, cet incomparable ferment de cohésion dont
la Chrétienté avait besoin. Aussi peut-on affirmer sans crainte que dans
l’esprit de Bernard de Clairvaux, la mission du Temple en Terre sainte n’était
qu’un prétexte. Sa véritable mission devait s’étendre en Occident. On ne
répétera jamais assez que les premiers buts avoués de la Milice du Christ ont
été la surveillance et la protection des routes. Or qui tient les routes tient
le reste, tant au point de vue militaire qu’au point de vue économique, et donc
politique. Et une Europe chrétienne tenue en respect était prête à assumer son
rôle de royaume de Dieu sur terre. S’il y a une motivation occulte à
l’enthousiasme de Bernard de Clairvaux quant aux chevaliers du Temple, c’est
assurément dans cette direction qu’il faut la chercher : « Heureux
ceux qui vivent en voyageurs et en étrangers au milieu de ce monde pervers, et
savent se garder purs de ses souillures ; car nous n’avons point ici de
cité qui demeure, mais nous cherchons celle qui viendra . »
Et le Temple était incontestablement l’instrument privilégié de cette quête.
L’un des sceaux du Temple représentait deux chevaliers
montés sur le même cheval. Symbole de fraternité bien sûr, mais aussi de
dualité, renforcé par les deux couleurs – blanche et noire – de l’étendard
Baucent. Témoignage du double état des Templiers, à la fois moines et soldats, ceux
qui prient et ceux qui combattent. Affirmation aussi d’une double action, en
Terre sainte et en Europe, et peut-être encore symbole de bien d’autres
ambiguïtés.
Dans la pensée mystique de Bernard de Clairvaux, Jérusalem
est-elle uniquement en Palestine ? Cette « cité qui viendra »
n’est-elle pas la « Cité de Dieu » ? Et comme Dieu lui-même,
cette cité est « partout et nulle part ». Décidément, d’étranges fées
se sont penchées sur le berceau du jeune Ordre du Temple.
II
L’ÉVOLUTION DU TEMPLE
C’est un lieu commun de dire que, deux siècles après sa
fondation, l’Ordre du Temple n’était plus ce qu’il était à l’origine. Toute
institution humaine subit à des degrés divers une évolution, à la fois dans ses
structures et dans ses idéaux. Le Temple ne pouvait échapper à cette
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