Gisors et l'énigme des Templiers
le prétexte officiel et commode de
surveiller les routes et de protéger les pèlerins, la question se pose de
savoir s’ils ont effectivement trouvé quelque chose. S’ils ont trouvé, ils ne
l’ont pas dit à tout le monde. Mais, dans ce cas, ils pourraient l’avoir révélé
à qui de droit. Et c’est alors qu’on les aurait envoyés en Europe pour décider
le pape et les grands de ce monde à leur donner les moyens de mettre en œuvre
les secrets dont ils disposaient. L’explication est ingénieuse et logique. Mais
le malheur veut qu’une fois de plus, nous nous trouvions dans le domaine de
l’hypothèse la plus gratuite.
Quels pouvaient être en effet ces secrets dont semblerait
être conscient le moine Gerbert d’Aurillac, élève de certains érudits
orientaux, personnage énigmatique s’il en fût, et qu’on a soupçonné d’avoir
pratiqué sinon la magie, du moins les sciences dites hermétiques ? On a
dit qu’il pourrait s’agir des Tables de la Loi, mais des véritables Tables, et
non pas de celles qui ont été divulguées au peuple hébreu sous forme de
préceptes moraux. Les vraies Tables de la Loi ne seraient autres que les
« secrets de la Grande Pyramide », dérobés par Moïse, ce qui
justifierait l’acharnement avec lequel le Pharaon aurait d’abord empêché les
Israélites de quitter l’Égypte, et ensuite poursuivi ces mêmes Israélites
jusqu’à la Mer Rouge. Certes, les légendes ne surgissent jamais de rien, et, bien
souvent, on s’aperçoit qu’elles correspondent à certaines réalités mises en
images et codifiées symboliquement pour être transmises à travers les
générations sous une forme accessible uniquement à ceux qui sont assez initiés pour en comprendre le sens. Mais dans le cas des
Tables de la Loi ou des « secrets de la Grande Pyramide », on a
surtout brodé sur ce qu’on ignore. Si la Grande Pyramide en elle-même offre un
condensé des connaissances égyptiennes, non seulement en matière
d’architecture, mais en matière d’astronomie, d’astrologie, de cosmologie et
peut-être bien de psychologie, rien ne nous indique qu’elle ait contenu des
secrets palpables ou écrits, et que Moïse s’en soit emparé.
D’autre part, si Hugues de Payns et ses compagnons avaient
mis la main sur d’aussi vastes secrets, ils n’auraient point été obligés
d’aller modestement solliciter du pape et des nobles d’Europe une sérieuse aide
matérielle qui leur a d’ailleurs été fournie d’une façon assez inexplicable.
À cette objection, certains répondent que les Templiers
n’avaient point encore trouvé ces secrets et qu’il leur fallait encore du temps
et des moyens pour parvenir jusqu’à eux. D’où l’appel à l’aide auprès de
personnalités qui avaient été mises dans la confidence et la reconnaissance
officielle du Temple. Et ce serait Bernard de Clairvaux qui, ayant compris
l’importance exceptionnelle de cette recherche des grands secrets, aurait fait
en sorte de donner satisfaction aux demandeurs.
En fait, c’est surtout Bernard de Clairvaux lui-même qui
pose problème. D’une manière ou d’une autre, il se trouvait au centre du
tourbillon où le Temple a pris sa forme et émergé des limbes dans lesquels il
demeurait en état de stagnation. De deux choses l’une : ou bien Bernard de
Clairvaux a été l’inspirateur d’Hugues de Payns déjà en 1118 ou en 1119, ou
bien il a récupéré l’élan des neuf premiers chevaliers. Mais, en toute
objectivité, il a nécessairement récupéré, au sens formel du terme, la vocation
d’Hugues de Payns et, en y imprimant une marque discrète mais profonde, il en a
fait le Temple tel que nous le connaissons, ou tel que nous croyons le
connaître. Bernard de Clairvaux était le maître du jeu, et cette affirmation ne
peut surprendre personne quand on sait le rôle éminent qu’il a tenu dans
l’Église du XII e siècle et quelle a été son
influence sur l’évolution de la spiritualité en Occident.
Mais qui est donc ce saint Bernard sur lequel tant de
légendes se sont répandues au point d’en faire un visionnaire pour ses
thuriféraires, un hystérique pour ses détracteurs ? C’est le fils d’un
châtelain de Bourgogne. Il appartient à un lignage de chevaliers où le sens de
la communauté familiale et terrienne est encore très vivant. C’est dans un
monde clos régi par les coutumes ancestrales, voire par la vendetta ,
qu’il passe ses premières
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