Gisors et l'énigme des Templiers
élection ?
De son côté, Philippe continuait à encourager les manœuvres
contre le Temple. On a justifié son attitude par le désir qu’il avait de
s’emparer des richesses de l’Ordre. Il est vrai que, durant tout son règne, il
se débattit avec des problèmes financiers. Lors de son accession au trône, le
royaume était au bord de la banqueroute, et Philippe dut avoir recours à toute
une série d’expédients. En 1294 et en 1296, il imposa des dîmes à l’Église de
France, ce qui déclencha une lutte acharnée avec le pape. Toujours en 1296, il
interdit l’exportation de l’or en dehors du royaume, y compris les
contributions habituelles pour le Saint-Siège, ce qui n’arrangea pas ses
rapports avec Rome. Il réquisitionna la vaisselle d’or et d’argent de ses
sujets les plus fortunés, contre une fraction seulement de sa valeur, et la fit
fondre pour en faire de la monnaie. Il créa un nouvel impôt sur le commerce et
la propriété, plus élevé que tous ceux qui avaient existé jusqu’alors. Il
dévalua à plusieurs reprises la monnaie, méritant ainsi le surnom qu’on lui a
donné de « faux-monnayeur ». Il faut cependant reconnaître que, dans
un tel domaine, il n’était qu’un précurseur. Mais tout cela finit par dresser
contre lui ses propres sujets. À la suite d’une dévaluation particulièrement
importante, et singulièrement malhonnête, en juin 1306, le peuple de Paris se
révolta contre lui, et il dut aller se réfugier, ô ironie du sort ! dans
l’enclos du Temple. La tempête calmée, il fit pendre quelques bourgeois pour manifester
son autorité. Puis il s’attaqua aux Juifs. En un seul jour, le 22 juillet 1306,
tous les Juifs de France furent arrêtés et emprisonnés. Leur argent fut
confisqué par le Trésor royal, leurs biens vendus à l’encan au profit de la
couronne, leurs affaires transférées aux banques italiennes qui jouissaient de
la pleine confiance du souverain, cependant que les Juifs eux-mêmes, du moins
ceux qui avaient eu la chance de survivre, étaient bannis du royaume. On sait
que beaucoup d’entre eux furent accueillis en Avignon, par protection spéciale
du pape, et qu’ils y ont fait souche, se répandant ensuite en Provence, terre
d’Empire. Ce dernier expédient fut présenté comme une grande victoire du Christ
sur ses tourmenteurs. L’idée de pogrom n’est pas
nouvelle…
Ensuite, Philippe aurait vu tout le parti qu’il pouvait
tirer de la richesse du Temple, et cela expliquerait l’acharnement qu’il a
manifesté à détruire l’Ordre, pour s’emparer de ses biens. Cet argument ne
résiste guère à l’analyse. C’est seulement une explication commode pour les
manuels d’histoire, et qui satisfait les partisans inconditionnels des
Templiers, qui sont fort nombreux de nos jours.
Il est certain que prêter à Philippe IV le noir dessein
de s’emparer des biens du Temple n’est pas contradictoire avec ce que l’on sait
du personnage. Mais le roi de France était beaucoup trop intelligent pour se
faire des illusions sur la réalité concrète du Trésor du
Temple . Il savait fort bien, et ses espions devaient le lui confirmer,
que la fortune du Temple ne consistait pas en une accumulation de pièces d’or
ni d’objets d’orfèvrerie. Si les caisses du Temple étaient remplies de
monnaies, ces monnaies n’y étaient qu’en dépôt, y compris le Trésor royal. Rien
de tout cela n’appartenait aux Templiers. Et la Règle précisait bien que les
frères ne devaient posséder aucune richesse. Il est hors de doute que, dans les
établissements du Temple, les objets d’orfèvrerie de valeur étaient fort rares.
D’ailleurs, lors des perquisitions, les agents du roi n’en ont jamais trouvé un
seul. Non, il est puéril de croire que les richesses de l’Ordre consistaient en
monnaie d’or ou d’argent et en objets précieux. La richesse du Temple, c’était
avant tout la gigantesque toile d’araignée qu’il avait tissée en Europe, avec
toutes les potentialités que cela comportait. Le Temple était riche de
domaines, certes, mais c’était seulement de l’immobilier. Ce serait prendre
Philippe le Bel pour un sot que de prétendre qu’il a entrepris cette lutte
acharnée contre le Temple à la seule fin de renflouer le Trésor royal. À la
différence des Juifs qui, eux, possédaient de l’or, les Templiers ne
possédaient rien d’autre que du potentiel .
Mais ce potentiel était redoutable. Il fallait
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