Gisors et l'énigme des Templiers
le
procès porterait sur des questions de foi, et il ne prétendait pas se
substituer aux autorités ecclésiastiques, seules habilitées à juger en cette
matière. Il se contentait de mettre en sûreté les accusés et de faire procéder
à une enquête. D’ailleurs, un texte de Philippe, contenu dans ce pli secret,
justifiait habilement cette action. Les mots semblent en avoir été
minutieusement choisis pour rejeter les Templiers hors des frontières de
l’humanité :
« Une chose amère, une chose déplorable, une chose
assurément horrible à penser, terrible à entendre, un crime détestable, un
forfait exécrable, un acte abominable, une infamie affreuse, une chose tout à
fait inhumaine, bien plus, étrangère à toute humanité, a, grâce au rapport de
plusieurs personnes dignes de foi, retenti à nos oreilles, non sans nous
frapper d’une grande stupeur et nous faire frémir d’une violente horreur ;
et, en pesant sa gravité, une douleur immense grandit en nous, d’autant plus
cruellement qu’il n’y a pas de doute que l’énormité du crime déborde jusqu’à
être une offense pour la Majesté divine, une honte pour l’humanité, un
pernicieux exemple du mal et un scandale universel… Cette gent (les Templiers)
est comparable aux bêtes de somme dépourvues de raison ; bien plus,
dépassant leur déraison par sa bestialité étonnante, elle s’expose à tous les
crimes souverainement abominables qu’abhorre et que fuit la sensualité des
bêtes déraisonnables elles-mêmes… Non seulement par leurs actes et les œuvres
détestables, mais même par leurs discours imprévus, ils souillent la terre de
leur saleté, suppriment les bienfaits de la rosée, corrompent la pureté de
l’air et déterminent la confusion de notre foi. »
Bel exemple de dialectique. Sans doute faut-il y voir la
main des hommes de Nogaret, tous choisis pour leur habileté juridique et
oratoire. Quant au signataire, il a semble-t-il oublié que son plus cher désir
avait été de devenir le grand-maître de ces gens corrompus qu’il dénonce avec
tant de vigueur. Mais le sort en est jeté : ces gens n’ont pas voulu de
lui, ils seront détruits, en application de la parole prêtée à Jésus dans
l’Évangile (Luc, XIX, 27) : « Amenez ici mes ennemis qui n’ont pas
voulu m’avoir pour roi, et tuez-les en ma présence. » Jamais parole
évangélique n’a été davantage de circonstance. Qui pourrait soutenir que
Philippe le Bel, roi de France, n’a pas agi en bon chrétien respectueux de la
Sainte Écriture ?
Mais ce n’est pas tout. La missive royale énumère les crimes
auxquels les Templiers sont censés s’être adonnés. Ceux-ci peuvent se résumer
en cinq chefs d’accusation :
1° Le reniement de Jésus . Lors
de la réception dans l’Ordre, après avoir procédé au rituel normal et conforme
à la Règle, le commandeur emmène le nouveau membre à part et lui ordonne de
cracher trois fois sur la Croix et de renier trois fois Notre-Seigneur
Jésus-Christ.
2° Les baisers obscènes . Le
nouveau chevalier doit se dépouiller de ses vêtements. Alors, celui qui le
reçoit le baise à l’extrémité de l’échine, sous la ceinture, puis au nombril,
puis sur la bouche.
3° L’homosexualité . On dit au
nouveau frère que, s’il est interdit d’avoir des relations sexuelles avec une
femme, en cas de « chaleur », un frère de l’Ordre est tenu de coucher
charnellement avec un autre frère si celui-ci le demande.
4° L’idolâtrie . Chaque frère
doit porter une cordelette qui a été placée auparavant autour du cou d’une
idole qui a la forme d’une tête d’homme avec une barbe, tête qui est l’objet
d’un culte lors des chapitres secrets.
5° La non-consécration . Les
prêtres de l’Ordre omettent les paroles de la consécration lorsqu’ils célèbrent
la messe.
La missive royale précisait aux officiers qu’ils devaient
transmettre le plus rapidement possible « la copie de la déposition de
ceux qui confesseront les dites erreurs, ou principalement le reniement de
Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Cela indique d’ailleurs que le problème du
reniement était le point fort du dossier. Puis, la missive se terminait par des
modalités d’application permettant bien entendu l’usage de la torture si les
accusés se montraient récalcitrants.
Jusqu’à la fin du XIX e siècle,
les historiens ont généralement accepté comme authentiques les
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