Gisors et l'énigme des Templiers
pauvres les
biens de l’Église. On imagine facilement le scandale que cela provoqua autour
de la Curie romaine, et devant l’hostilité grandissante des cardinaux, il
préféra abdiquer.
Son successeur fut Benoît Caetani, plus connu sous le nom de
Boniface VIII. Mais le problème de sa légitimité se posa
immédiatement : Célestin V avait-il le droit de démissionner de la
charge pontificale ? Les opinions divergeaient sur ce point. Pour ceux qui
n’admettaient pas la possibilité d’abdiquer, l’élection de Boniface VIII
n’était pas valable. Le problème n’était toujours pas tranché au moment du
déclenchement de l’affaire des Templiers, bien que Boniface fût mort et enterré
depuis longtemps.
Boniface VIII avait toutes les qualités pour faire un
bon pape, mais certainement pas un saint. Orgueilleux, autoritaire, violent, il
entra en conflit avec tout le monde et s’acharna contre les cardinaux de la
famille Colonna qui étaient ses adversaires politiques. Ses démêlés avec le roi
de France, à propos d’affaires relevant de la plus basse finance (des impôts
royaux sur le clergé), sont bien connus. Ils amenèrent une série continue
d’attaques et de contre-attaques, au point que Boniface VIII menaça finalement
Philippe le Bel de le déposer.
Mais celui-ci ne se laissa pas faire. Il avait des alliés
sûrs en Italie en la personne des cardinaux Colonna. Les Colonna, qui
haïssaient le pape, s’alignèrent sur le roi de France et participèrent à la
campagne de dénigrement contre lui : ils allèrent même jusqu’à suggérer
que Boniface se livrait à des opérations magiques ou diaboliques dans le but de
se procurer l’aide des démons. En mars 1303, une assemblée d’évêques et de
seigneurs se réunit au Louvre autour du roi de France. On entendit Guillaume de
Nogaret, redoutable orateur et excellent « légiste » (c’est-à-dire
juriste spécialiste du droit romain), dénoncer le pape comme hérétique et
demander la réunion d’un concile général de l’Église pour le juger.
Boniface rétorqua en préparant une bulle qui excommuniait le
roi de France. Nogaret partit alors pour l’Italie et organisa un complot afin
de s’emparer du pape et de le traîner devant un concile. C’est le fameux
attentat d’Anagni. Mais les Colonna firent échouer l’affaire : pendant
trois jours, le cardinal Sciarra Colonna insulta et tourmenta Boniface, et se
livra à de telles provocations vis-à-vis des habitants d’Anagni que ceux-ci se
soulevèrent et délivrèrent le pape. Nogaret fut blessé et dut s’enfuir. Quant à
Boniface, brisé physiquement et mentalement, il mourut dans le mois.
Son successeur, Benoît XI, publia une bulle qui
excommuniait Nogaret et quinze de ses complices. À travers lui, c’était le roi
de France qui était visé. Mais Benoît XI eut la bonne idée de mourir
l’année suivante après avoir mangé, dit-on, trop de figues. On a évidemment
murmuré que ces figues étaient empoisonnées. Comment le savoir ? Alors
Nogaret s’empressa de triompher : « Dieu, plus puissant que tous les
princes ecclésiastiques et temporels, frappa ledit seigneur Benoît, de telle
sorte qu’il ne lui fut plus possible de me condamner. » Et les cardinaux
élurent pape l’archevêque de Bordeaux, Bertrand de Got, qui prit le nom de
Clément V.
On a trop répété que Clément V avait été un homme à la
solde de Philippe le Bel. C’est vite dit. Certes, le roi de France et Nogaret
ont intrigué auprès du conclave pour obtenir un pape qui leur soit favorable,
mais il ne semble pas qu’ils soient allés jusqu’à proposer Bertrand de Got,
lequel n’était d’ailleurs pas présent au conclave. Ils acceptèrent le nouveau pape en lui faisant comprendre qu’il avait intérêt à se montrer
coopératif. De toute façon, la situation à Rome étant inextricable, le pape dut
se résoudre à résider en Avignon. Et, comme de l’autre côté du Rhône, c’était
le royaume de France, Philippe le Bel avait toutes facilités pour surveiller ce
qui se passait sur le territoire pontifical.
Cela dit, il faut préciser que Bertrand de Got avait été un
de ceux qui avaient refusé de s’associer à la campagne contre
Boniface VIII. On pouvait le croire hostile au roi de France. Mais c’était
un excellent diplomate, expert dans l’art des tergiversations. Il a bien
souvent tenu tête à Philippe le Bel, et avec plus d’habileté qu’on ne le
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