Gisors et l'énigme des Templiers
chefs
d’accusation contre les Templiers. Ils se contentaient d’affirmer que Philippe
le Bel les avait amplifiés afin de tirer parti de la situation. Depuis une
centaine d’années, curieusement, ils ont adopté une attitude diamétralement
opposée : la plupart d’entre eux affirment que tout n’est qu’invention
dans les accusations portées contre le Temple. Certains vont même jusqu’à dire
que ces accusations ne sont que des fantasmes comparables à ceux qui
présideront aux fameuses « chasses aux sorcières » des XVI e et XVII e siècles [40] .
Quant aux auteurs ésotéristes, ils ont plutôt tendance à croire en cette
réalité, mais sous une forme plus symbolique.
Certes, il est impossible d’ajouter foi aux aveux obtenus
sous la torture. Et l’on sait que les officiers royaux ne se privèrent pas de
torturer les Templiers emprisonnés. Ceux-ci avouèrent tout ce qu’on voulait
leur faire dire. Mais certains passèrent aux aveux sans qu’il soit besoin de
les soumettre à la torture. Ainsi Jacques de Molay et trois
dignitaires (Hugues de Pairaud, visiteur de France, Geoffroy de Cernay,
précepteur de Normandie et Geoffroy de Gonneville, précepteur d’Aquitaine et du
Poitou) ont avoué avoir renié le Christ sans avoir jamais été
torturés.
Voici les aveux de Jacques de Molay : « La ruse de
l’ennemi du genre humain… avait conduit les Templiers à une perdition si aveugle
que, depuis longtemps, ceux qui étaient reçus dans l’Ordre reniaient le Christ
au péril de leur âme, crachaient sur la croix qui leur était montrée, et à
cette occasion ils commettaient quelques autres énormités. » Jacques de
Molay répéta ces aveux pour lui-même le 24 octobre de la même année
1307 : « Voici quarante-deux ans que j’ai été reçu à Beaune… Le frère
Humbert fit apporter une croix d’airain où se trouvait l’image du Crucifié, et
m’enjoignit de renier le Christ dont c’était là l’image. De mauvais gré, je le fis.
Alors celui qui me recevait me prescrivit de cracher sur la croix, mais je
crachai à terre une seule fois. » Et ce n’est pas tout : un autre
document fait état d’une consultation émanant de l’Université de Paris,
toujours à propos de Jacques de Molay : « Il est constant que ledit
maître a confessé d’abord spontanément ses erreurs à l’inquisiteur en présence
de plusieurs bonnes personnes ; qu’ensuite, persévérant pendant plusieurs
jours, il a, en présence du même inquisiteur, de plusieurs religieux et de
l’Université de Paris, confessé en pleurant son erreur et celle de son Ordre,
publiquement sous forme de discours… Que, pleurant sur sa honte humaine, il
demanda un jour à être torturé, pour que ses frères ne pussent dire qu’il avait
librement causé leur ruine. » Ce document est accablant.
Ainsi, non seulement le grand-maître Jacques de Molay n’a
été ni torturé, ni menacé de la torture, mais il a demandé à être torturé pour
se couvrir vis-à-vis de ses frères Templiers, et on le lui a refusé. C’est
absolument effarant. Il est également affligeant de voir ce haut dignitaire,
qui porte la responsabilité d’un Ordre puissant, pleurer
publiquement et avouer sous forme de discours . Là, il ne s’agit pas
d’hypothèse gratuite, mais d’un fait historique qui s’est déroulé devant
témoins. D’ailleurs, le document en question ajoute : « La vaine
terreur de l’image de la souffrance n’aurait pu conduire un homme à faire aussi
constamment de tels aveux… Et il est impossible que le maître de l’Ordre
lui-même ait ignoré de telles choses. »
Et comme si cela ne suffisait pas, voici les aveux d’Hugues
de Pairaud, deuxième personnage de l’Ordre : « Celui qui me recevait
me conduisit derrière un autel et me montra une croix sur laquelle était
l’image de Jésus-Christ crucifié, et me commanda de renier celui dont l’image
était représentée là et de cracher sur la croix. Malgré moi, je reniai
Jésus-Christ, de la bouche et non du cœur. Mais, nonobstant l’ordre qu’il m’en
fut donné, je ne crachai pas sur la croix. » Et voici encore les aveux de
Geoffroy de Cernay, toujours obtenus sans le secours de la torture :
« Après m’avoir reçu et mis le manteau autour du cou, on m’apporta une
croix sur laquelle était l’image de Jésus-Christ : et le même frère me dit
de ne pas croire en celui dont l’image était là représentée, parce que
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