Gisors et l'énigme des Templiers
d’une
forte troupe en armes. Visiblement, il voulait impressionner le concile.
Clément V craignait le pire. Il savait que les accusations contre le
Temple étaient en grande partie fondées, et qu’un débat public risquait de
causer à l’Église un tort considérable. En bon manœuvrier qu’il était, il va
trouver une solution. Le 22 mars, il réunissait un consistoire et se
faisait attribuer le droit de trancher la question lui-même, sans débat
d’aucune sorte. Et, à la réouverture des séances du concile, le lundi
5 avril 1312, le pape lut à haute voix le texte de la bulle Vox Clamantis dont les historiens futurs feront évidemment Vox Clementis . Cette bulle ordonnait la dissolution de
l’Ordre du Temple et la dévolution de ses biens à l’Ordre des Hospitaliers de
Saint-Jean. Quant aux hommes, ils étaient remis aux autorités ecclésiastiques
compétentes. Le texte de la bulle est un chef-d’œuvre d’ambiguïté, mais cela ne
saurait surprendre dans une affaire où tout est ambigu. Les
« considérant » sont en particulier très révélateurs :
« Considérant la mauvaise réputation des Templiers, les soupçons et les
accusations dont ils sont l’objet ; considérant la
manière et la façon mystérieuse dont on est reçu dans cet ordre, la conduite mauvaise et antichrétienne de beaucoup de ses
membres ; considérant surtout le serment demandé à chacun d’eux de ne rien
révéler sur cette admission et de ne jamais sortir de l’Ordre ;
considérant le péril que courent la foi et les âmes, ainsi que les horribles forfaits d’un très grand nombre de membres de
l’ordre… nous abolissons, non sans amertume et douleur intime… le susdit ordre
des Templiers avec toutes ses institutions… »
On remarquera que l’Ordre du Temple n’est pas condamné. Il
est seulement aboli. Il y a là plus qu’une nuance. D’ailleurs, personne ne sera
condamné. Seuls certains membres de l’Ordre seront
accusés de « forfaits » sur lesquels on n’insistera pas.
S’il y a un vainqueur, c’est Clément V, et lui seul.
Car on ne peut pas dire que Philippe le Bel ait réussi. Son rêve d’obtenir pour
lui-même et ses descendants la charge de grands-maîtres héréditaires d’un
nouvel ordre de Croisés s’est évanoui. Il n’a même pas réussi à obtenir les
biens du Temple qui sont dévolus aux Hospitaliers. Certes, comme il a ces biens
en garde, il fera en sorte de les rendre le plus tard possible, après en avoir
retiré de substantiels bénéfices. Mais ce n’était pas ce qu’il espérait. Le roi
de France s’était beaucoup agité, beaucoup compromis dans le procès intenté aux
Templiers, et tandis que son adversaire Clément V se tirait honorablement
d’affaire en évitant des débats publics, il dut se contenter de la disparition
de l’Ordre.
Mais c’était peut-être là le but secret de Philippe le Bel.
Comme rien n’est ni clair, ni définitif, dans cette histoire, on peut bien le
supposer. Le roi de France avait quand même contribué efficacement à éliminer une énorme machine , le Temple, qui aurait toujours été, pour
lui comme pour ses successeurs, une épée de Damoclès constamment suspendue
au-dessus du trône. La puissance du Temple une fois abattue, et le Temple
lui-même déconsidéré, le pape étant privé d’un de ses plus fidèles soutiens, le
roi de France pouvait espérer gouverner seul le monde. En tout cas, quelles que
soient ses motivations profondes, Philippe le Bel avait réussi à mettre le pape
en difficulté et à ternir l’image de marque de l’Église. Car, après tout, le
Temple faisait bel et bien partie de l’Église.
Les historiens sont très divisés sur ces questions. Ils le
seront longtemps. Tout dépend du point de vue que l’on veut défendre, et dans
un tel domaine, il est difficile de ne pas se laisser aller à une attitude
passionnelle.
Une chose est sûre : l’Ordre a été dissous, mais non
condamné. Pour les hommes qui composaient le Temple, ce sera fort différent.
Beaucoup d’entre eux finiront sur un bûcher. D’autres croupiront dans une
prison. Les quatre dignitaires de l’Ordre seront jugés à Paris, le 22 décembre 1313.
Encore une fois, ils vont tout avouer : le reniement de Jésus, le crachat
sur la croix. Le procès durera jusqu’au 18 mars 1314. Ils auront
largement le temps de s’expliquer. Enfin, le 18 mars, c’est le
verdict : Jacques de Molay, Geoffroy de Charnay,
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