Gisors et l'énigme des Templiers
ses
légistes. Il consulte l’Université de Paris sur ses pouvoirs. En vertu des
privilèges qui lui ont été accordés depuis sa fondation, l’Ordre du Temple ne
relève que du pape : il est indépendant de toute autorité temporelle, mais
le fait qu’il s’agisse maintenant d’hérétiques reconnus peut modifier la
situation juridique antérieure. En un mot, le roi a-t-il le droit d’intervenir
et de continuer les poursuites contre les Templiers ? Tel est le problème
de droit canon soumis à l’Université. Celle-ci répond le 2 mars 1308.
Son avis est défavorable à l’action royale : « L’autorité du juge
séculier ne va pas jusqu’à faire un procès pour hérésie à quelqu’un qui n’est
pas livré par l’Église… À raison même de la nature du crime, tout ce qui touche
à ce crime appartient à l’Église chez n’importe quelle personne. » Voilà
donc Philippe débouté.
Certes, cet « avis » de l’Université de Paris ne
le lie pas. Mais s’il passe outre, il risque d’encourir les foudres de l’Église
tout entière et cette fois parfaitement unie sur son dos. Il se borne alors à
faire engager ce que nous appellerions aujourd’hui une « campagne de
presse » : en tout cas, les sbires de Nogaret se déchaînent dans tout
le royaume et même au-delà, accusant le pape de lâcheté et demandant au roi de
se substituer à ce « fils du diable », autrement dit Clément V.
Le terrain ainsi préparé, le roi convoque des États généraux à Tours, du 11 au
20 mai 1308, dans le but de s’y faire reconnaître comme défenseur de
la foi. C’est effectivement ce qui se passe : Philippe le Bel y est
plébiscité par le clergé aussi bien que par les nobles et les bourgeois.
Mais le roi doit se méfier. Il sait très bien qu’il ne peut
se permettre un nouvel « attentat d’Anagni ». Il se décide alors à
aller trouver le pape, qui réside davantage à Poitiers qu’à Avignon (parce qu’il
y est plus près de sa maîtresse, la comtesse de la Marche), afin de lui faire
part de la décision des États généraux. Mais Clément V lui rétorque que
les décisions d’une assemblée civile ne sauraient lier un pape. Les deux hommes
discutent âprement, et le pape, qu’on a trop tendance à considérer comme un
valet du roi, tient farouchement tête à celui-ci. La situation devient
explosive, et aucun des deux ne trouvant d’issue, on en vient à un compromis :
la convocation d’un consistoire, donc une assemblée ecclésiastique, auquel le
roi sera admis à assister et à plaider sa cause.
Le consistoire se réunit donc le 29 mai 1308. L’un
des conseillers du roi, Guillaume de Plaisians, y prononce un réquisitoire en
règle. Il affirme que les faits reprochés aux Templiers sont « notoires,
clairs, indubitables, plus clairs que la lumière de midi », et il supplie
le pape d’assurer la défense de la foi. Parmi les participants, les archevêques
de Bourges et de Narbonne, qui étaient jusque-là assez sceptiques, se déclarent
convaincus par les preuves apportées. Mais Clément V se lance dans un long
discours cauteleux qui, finalement, ne veut rien dire. Il avoue avoir aimé
autrefois les Templiers, mais maintenant, il ne peut que les haïr, si toutefois
ils sont bien comme on les lui dépeint. La restriction est toujours présente
dans ce discours. D’ailleurs, dit le pape, leur arrestation a été irrégulière,
il y a donc un vice de forme. De plus, il fait allusion à la torture. Certes, conclut
Clément V, il convient de sévir, mais seulement après mûre réflexion. Ce
discours a le don d’irriter le roi et ses conseillers. Le 14 juin,
Guillaume de Plaisians reprend la parole et apostrophe violemment le souverain
pontife en lui lançant un solennel avertissement : s’il ne veut pas agir, comme
c’est son rôle et son devoir, alors « tous ceux que touche l’affaire
seront appelés à la défense de la foi ».
Clément V élude encore une fois les problèmes et
ajourne sa décision. Mais comme il sait que le roi ne s’avouera pas vaincu, il
tente de donner une dernière chance aux Templiers. Il fait comparaître devant
lui et devant ses très proches collaborateurs soixante-douze Templiers
incarcérés, et bien entendu sans aucune menace de torture. Dans l’esprit du
pape, c’est le moment ou jamais de faire éclater la vérité. Or,
sans pression aucune, cela est attesté, les soixante-douze Templiers réitèrent
tous
Weitere Kostenlose Bücher