Gisors et l'énigme des Templiers
Hugues de Pairaud et
Geoffroy de Gonneville, les quatre plus hautes autorités de l’Ordre dissous,
sont condamnés à la prison perpétuelle.
C’est alors le coup de théâtre : Jacques de Molay et
Geoffroy de Charnay se rétractent publiquement et réfutent tous leurs aveux
antérieurs. Mais non Pairaud et Gonneville. Le fait de se rétracter, en matière
de foi, équivaut à la mort. Déclarés relaps, Molay et Charnay seront brûlés en
présence de Philippe le Bel. On prétend que le grand-maître aurait lancé une
malédiction sur le pape Clément et le roi Philippe. De fait, ceux-ci moururent
peu après, et cela a alimenté bien des légendes. Il est plus vraisemblable que
Jacques de Molay a prononcé ces simples paroles, quelque peu désabusées :
« Les corps sont au roi de France, mais les âmes sont à Dieu. » Ce
serait plus conforme à un personnage qui, au dernier moment, s’est prétendu
innocent.
Pourquoi d’ailleurs ce revirement, et si tard ? C’est
le seul geste courageux qu’ait jamais eu Jacques de Molay. Cette attitude a
beaucoup impressionné les inconditionnels du Temple. Mais elle n’explique rien,
et, en aucun cas, elle ne peut effacer ses aveux antérieurs obtenus,
rappelons-le, sans aucune torture. Si Molay et Charnay avaient adopté cette
courageuse attitude dès leur arrestation, ils auraient acquis la gloire et
leurs négations auraient été crédibles. Mais venant après tant d’aveux de
« turpitudes », leur rétractation sonne faux.
Alors, que faut-il en penser ? « On ne peut sortir
de ce dilemme : ou bien Molay a menti par lâcheté pendant sept ans, laissé
condamner ses frères en appuyant leur condamnation de ses propres aveux, a
concouru à la perte de l’Ordre qu’il dirigeait, – ou bien il avait dit la
vérité pendant sept ans, mais n’a pu supporter la perspective d’un emprisonnement
définitif, et vu son âge, il a préféré le panache d’une fin glorieuse [43] . »
Ce serait alors une sorte de suicide.
Mais cela n’explique toujours rien. L’Ordre était-il
coupable, oui ou non, des horribles forfaits dont on
l’accusait ?
TROISIÈME PARTIE
L’énigme des Templiers
I
LA RÈGLE SECRÈTE DU TEMPLE
Ce qui est particulièrement irritant quand on se penche sur
le dossier du Temple et qu’on en examine toutes les données, c’est qu’on se
heurte partout à des incertitudes, et que ces incertitudes sont dues en grande
partie aux Templiers eux-mêmes. La bulle papale de 1312, qui abolit l’Ordre, ne
se fait pas faute de remarquer : « la façon mystérieuse dont on est
reçu dans cet ordre », ou encore « le serment demandé à chacun d’eux
de ne rien révéler sur cette admission ». On a l’impression que, depuis la
fondation de l’Ordre, les Templiers ont tout fait pour laisser planer le doute
et le mystère sur leurs activités, et ce fait ira en s’accentuant au fur et à
mesure que l’Ordre grandira. La Règle officielle, bien connue, précise certains
cas où le secret est obligatoire, par exemple l’interdiction de divulguer les
délibérations du Chapitre. Certes, on peut penser qu’il n’était pas utile de
faire savoir à tout le monde comment s’organisait intérieurement le
Temple : n’importe quel gouvernement, lorsqu’il se réunit pour prendre des
décisions, se garde bien de le faire en public et se contente de publier un communiqué
où l’on dit seulement ce qu’on veut bien dire. Cela n’a rien d’exceptionnel.
Pourtant, la suspicion commence lorsque les Templiers insistent sur le fait que
les réunions du Chapitre doivent se tenir de façon secrète et dans un lieu où
nul ne peut être admis s’il ne fait pas partie du cercle très fermé des
dignitaires. Cette volonté farouche de secret excite évidemment la curiosité et
prête à toutes sortes de commentaires.
Mais passons sur cette interdiction de divulguer les
délibérations du Chapitre. Elle peut se justifier, même si elle est la cause de
bien des affabulations. En revanche, on peut se demander pourquoi il est
interdit de posséder un exemplaire de la règle officielle sans autorisation
spéciale, de peur qu’elle ne tombe entre les mains de personnes étrangères à
l’Ordre, ce qui risquerait de lui être dommageable. Là, on ne comprend plus :
les statuts de la Règle officielle sont nets, précis, et il n’y a rien en eux
qui puissent prêter le flanc à des interprétations douteuses. Autre chose
encore, et beaucoup
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