Gisors et l'énigme des Templiers
leurs aveux antérieurs .
Voilà un événement capital pour la compréhension de
l’affaire. Après cela, nul ne peut plus soutenir que les
Templiers n’avaient rien à se reprocher et qu’ils ont été les victimes de
l’arbitraire . Ils avaient quelque chose à se reprocher, mais seulement vis-à-vis de l’orthodoxie catholique , et ils
ne pouvaient pas le nier. Quant à savoir ce que cela cache en
réalité, c’est un tout autre problème.
« Nous n’avons pas les procès-verbaux de ces auditions,
ils sont aux archives du Vatican. Mais on les connaît grâce à… Napoléon qui,
passionné par l’affaire du Temple, avait fait saisir à Rome les archives
secrètes. On a donc pu les lire, et Raynouard les analysa avant qu’elles ne
fussent restituées. On n’y a pas découvert grand-chose de nouveau, encore moins
la clef de l’énigme du Temple [41] ,
mais on sait du moins que ces documents confirment largement les auditions
antérieures ; et d’ailleurs, Clément V le dira clairement [42] . »
Alors le pape rend publique sa décision par la bulle du 12 août 1308.
Il affirme que le sort de l’Ordre ne dépend que de lui seul, mais que le
problème est trop grave pour qu’il puisse statuer dans l’immédiat. Il institue donc
une commission, à la tête de laquelle il place l’archevêque de Narbonne, connu
pour son intégrité (il avait refusé de cautionner l’arrestation des Templiers),
assisté de trois évêques et de religieux compétents. Cette commission devra
présenter son rapport dans les deux ans. Ensuite, dissociant nettement l’Ordre
lui-même, qui ne dépend que de lui, et les membres de l’Ordre, qui sont des
individus, il renvoie ceux-ci devant l’inquisition, réservant toutefois le cas
des quatre hauts dignitaires sur lesquels il se réserve de statuer
ultérieurement.
La plupart des évêques français détestaient les Templiers.
Les autres ordres religieux également, les Dominicains étant
les plus acharnés. Ce n’était pas pour des motifs spirituels, mais bien
prosaïquement parce que les Templiers les avaient souvent évincés de fructueux
bénéfices qui eussent dû leur revenir. Il est inutile de dire que, dans de
nombreux diocèses, les Templiers furent plutôt maltraités, soumis à la torture,
voire brûlés, comme à Paris et Sens, où l’archevêque, frère d’Enguerrand de
Marigny, était une âme damnée de Philippe le Bel. En tout cas, la commission
put ainsi recueillir d’autres aveux, parfois considérablement étoffés et
circonstanciés, mais dont la plupart n’ont pas été extorqués. Il n’en fut pas
de même dans les autres pays.
Au Portugal, le souverain refusa purement et simplement
d’autoriser l’arrestation des Templiers. En Castille, une information fut
ouverte, mais elle n’aboutit à rien. En Aragon, les évêques menèrent une
enquête, mais ils demeurèrent très prudents sur la culpabilité des chevaliers
du Temple. En Angleterre, on aboutit à un compromis qui permit de sauver les
apparences, et la plupart des Templiers ne furent pas inquiétés. En Allemagne,
ils furent presque tous acquittés : ceux qui furent condamnés le furent
pour leurs débordements individuels, et il en fut de même à Chypre. Décidément,
il s’agit avant tout d’une affaire française : dans les autres pays
d’Europe, l’Ordre n’était pas aussi puissant et n’avait pas réussi à implanter
un réseau aussi dense. Le danger étant moins grand, l’acharnement contre les
Templiers était forcément moins violent.
Il y eut cependant quelques tentatives pour défendre
l’Ordre, mais elles furent le fait des Templiers eux-mêmes. Cette défense a été
parfois courageuse mais extrêmement maladroite. Malgré un certain Pierre de
Bologne, qui disparaîtra d’ailleurs dans la nature avant la fin du procès, les
divers défenseurs renonceront à leur tâche. Il n’y aura guère que quelques
frères qui, revenant sur leurs aveux, nieront toute culpabilité et persisteront
dans cette attitude. Tel n’a pas été le cas de Jacques de Molay.
Celui-ci fut en effet interrogé le 26 novembre 1309
par la commission pontificale, dans les meilleures conditions d’objectivité,
avec toutes les garanties possibles : la commission dépendait du pape, et
non du roi, ou des évêques locaux. On lui demanda de défendre l’Ordre, ce qui
est logique, puisqu’il en était le grand-maître. Sa réponse fut
pitoyable : « Je ne suis pas aussi
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