Gisors et l'énigme des Templiers
savant qu’il conviendrait… Je suis
prêt à le défendre selon mes facultés… mais cette tâche me paraît bien
difficile : comment le défendre convenablement ? Je suis prisonnier
du pape et du roi de France, et n’ai pas seulement quatre deniers à dépenser
pour cette défense. » On lui lut alors les aveux qu’il avait passés
antérieurement devant trois cardinaux, et on lui demanda de s’expliquer sur ce
point. Il réclama deux jours de réflexion, qui lui furent accordés en lui
précisant même qu’il pouvait prendre davantage de temps s’il le désirait.
Il comparut donc une deuxième fois le 28 novembre 1309.
D’emblée, il se refusa à défendre l’Ordre : « Je ne suis qu’un
chevalier illettré et pauvre. » Son attitude est franchement
incompréhensible, à moins qu’elle ne cache quelque chose. Qui Jacques de Molay
voulait-il protéger par son silence ? Il déclara que, puisque le pape
s’était réservé le droit de statuer sur son sort, il attendrait son bon
vouloir. On revint à la charge et on lui demanda encore une fois s’il
consentait à défendre l’Ordre. Il se contenta de faire un vague éloge des
Templiers en étalant leurs brillants résultats matériels et leur courage au
combat. On lui répondit que tout cela était insuffisant s’il y manquait la
vraie foi. Alors, il consentit à faire une profession de foi chrétienne,
assurant qu’il croyait en Dieu et à la Trinité . Mais il
ne prononça pas le nom de Jésus-Christ. Et il ajouta ces paroles quelque peu
sibyllines : « Quand l’âme sera séparée du corps, on verra bien qui
était bon ou mauvais, et l’on saura la vérité sur les choses présentement en
question. » Si l’on comprend bien, il s’agit là d’un
refus pur et simple de dévoiler certaines choses . Mais il n’eut pas un
mot concernant les souffrances de ses frères, pas un commentaire sur ses aveux
précédents. Il demanda seulement à entendre la messe, ce qui lui fut accordé.
Une troisième audition de Jacques de Molay eut lieu devant
la commission, trois mois plus tard, le 2 mars 1310. Là, il fut
encore plus décevant. Il se borna à répéter que puisque le pape devait le
juger, il attendrait son jugement. La commission lui expliqua clairement
qu’elle n’avait pas mission de le juger, mais simplement de procéder à une
enquête. Rien n’y fit ; Molay se retrancha dans son mutisme : l’Ordre
ne paraît pas l’intéresser, et seul son jugement personnel par le pape semble
le préoccuper. On n’en tira pas un mot de plus. Et il en sera de même pour un
autre dignitaire, Geoffroy de Gonneville, qui lui aussi parut se désintéresser
totalement de l’Ordre en attendant que le pape statue sur son sort.
On ne comprend pas. Le moins que l’on puisse dire, c’est que
l’Ordre du Temple n’a pas été défendu par ceux qui auraient dû le faire. À ce
stade, l’attitude de Jacques de Molay et des principaux dignitaires relève de
l’égoïsme le plus pur, voire de la stupidité. Qu’attendaient-ils du pape ?
Espéraient-ils gagner du temps ? Mais, dans ce cas, de qui espéraient-ils
du secours ? De toute façon, ils laissaient leurs frères dans un abandon
total. Il n’y a pas de réponses à toutes les questions qu’on se pose sur
Jacques de Molay.
Cependant, le concile se réunit à Vienne, ville d’Empire
proche de la France et d’Avignon, le 13 octobre 1311. Il y avait
quatre ans que l’affaire avait débuté. Il était temps qu’elle se terminât.
Le concile examina les rapports de la commission pontificale
chargée de l’enquête. Puis on se sépara pour permettre aux diverses commissions
créées à cet effet, de travailler sur ces rapports. On attendit l’arrivée du
roi de France, mais celui-ci ne semblait pas pressé de venir s’expliquer. Les
choses traînaient en longueur, lorsque sept chevaliers du Temple, puis deux
autres, se présentèrent et demandèrent à être entendus par le concile dans le
but de défendre l’Ordre. Le bruit courut qu’aux environs de la ville, une armée
de deux mille chevaliers du Temple se tenait prête à donner l’assaut. C’était
faux, bien entendu, mais pour éviter le désordre, Clément V fit
emprisonner les neuf arrivants. On le lui reprocha, mais il faut savoir que
c’était le seul moyen de les protéger.
Philippe le Bel se rendit à Vienne au mois de mars 1312.
Il était, comme il se doit, accompagné des gens de sa cour, mais aussi
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