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Gondoles de verre

Gondoles de verre

Titel: Gondoles de verre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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la table un regard acéré comme une lame de rasoir.
    — Dans ce cas, tu as intérêt à trouver un succédané convaincant.
    — Par exemple ?
    Naturellement, il savait très bien ce à quoi elle pensait. La comtesse planta sa fourchette dans le poisson d’un geste si violent que de la sauce gicla hors de son assiette.
    — Tu vas te débrouiller pour retrouver ce Titien au plus vite, décréta-t-elle sur un ton qui excluait toute discussion. Et ensuite pour que la reine assiste à notre bal.
    1 - Vestibule, porche. ( N.d.T. )

8
    Tron détestait les gares – cette façon de s’étaler dans les vieilles villes, de détruire des quartiers entiers et d’envahir les rues voisines de bruit, de saleté et de tous les personnages douteux qu’elles attiraient. Il détestait en outre les locomotives, les bateaux à vapeur, bien entendu aussi les nouveaux becs de gaz qui plongeaient la place Saint-Marc dans une lumière grise et grasse, pareille à des pâtes trop cuites ou réchauffées.
    Et là, constata-t-il en débarquant à Santa Lucia peu avant onze heures du soir, tout ce qu’il aimait était réuni : dans le hall inondé de lumière au gaz, des officiers de l’armée impériale attendaient au milieu d’étrangers venus de tous les coins de l’Empire austro-hongrois et sous la surveillance d’une demi-douzaine de chasseurs croates qui patrouillaient sur les quais par groupes de deux.
    Lorsque le train en provenance de Vérone arriva sur le coup de onze heures, le hall de la gare se remplit de vapeur et d’une odeur pénétrante d’huile de moteur. La locomotive, bateau à vapeur peint en vert et monté sur roues, poussa un nouveau sifflement et s’arrêta par à-coups. Les porteurs s’avancèrent avec leurs chariots, les premières portières s’ouvrirent et déversèrent ici une formation de quatre sous-lieutenants du génie de Graz, là une famille nombreuse d’origine russe ou encore une horde d’officiers de l’état-major de Vérone. Tous se fondirent dans un courant nerveux qui gagna la sortie par vagues dans la lumière huileuse des réverbères.
    Parviendrait-il à reconnaître Valmarana après tant d’années ? Debout devant un bureau du télégraphe où un employé en uniforme tapotait des iambes, des dactyles et des trochées, Tron se résolut à chercher du regard un homme soigné dans une redingote bien taillée – un homme un peu rondouillard peut-être car, au Séminaire patriarcal déjà, Ercole Valmarana avait l’habitude de s’empiffrer en permanence.
    Dix minutes plus tard, cinq civils rondouillards étaient passés devant lui, mais aucun ne correspondait à cette description. À présent, le quai était vide en dehors d’un groupe de voyageurs qui ne descendaient que maintenant, sans doute pour éviter la cohue. Outre trois porteurs, le commissaire distingua un général de haute taille dans l’uniforme bleu clair des chasseurs d’Innsbruck, deux ordonnances occupées à surveiller le déchargement des bagages et, sur la gauche, un homme rondouillard, vêtu de l’uniforme rouge des contrôleurs des chemins de fer, qui porta la main à sa casquette pour saluer le militaire et accepta une enveloppe avec une révérence servile. Puis le groupe se mit en marche, le général en tête, suivi de ses deux ordonnances, elles-mêmes suivies des trois porteurs qui tiraient leurs chariots derrière eux.
    Le contrôleur en uniforme rouge resta seul sur le quai. Lorsqu’il tourna la tête – dans la lueur du bec de gaz qui faisait luire le galon doré de sa casquette –, Tron le reconnut : Valmarana. Avec les années, son visage s’était rembourré sans pour autant donner de contour à ses traits. Son corps massif avait coulé vers le bas, comme une bougie en train de fondre. Et sa joie de le revoir avait l’air assez limitée.
    — Kostolany a été étranglé la nuit dernière, expliqua Tron cinq minutes plus tard lorsqu’ils furent installés dans le wagon du général. Et nous croyons savoir que tu lui as rendu visite hier soir.
    L’enchaînement des deux informations induisait un soupçon qu’il n’éprouvait pas de manière aussi nette. D’un autre côté, il avait lui aussi constaté que sa joie de le revoir n’était pas non plus débordante. Ils étaient assis autour d’une table ovale, fixée au plancher, dont le plateau ciré reflétait la lumière de la lampe à pétrole. Le wagon, équipé de deux fauteuils moelleux en velours vert et orné d’une gravure

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