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Gondoles de verre

Gondoles de verre

Titel: Gondoles de verre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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original…
    À la mine déconcertée de son camarade, on pouvait deviner qu’il avait du mal à imaginer ce qu’était un faux en quelque sorte original. Il se contenta de ramasser ses gants et de conclure :
    — Je suppose que, demain matin, tu vas rendre visite à Sivry et vérifier mon histoire.
    — Je suis policier, dit Tron en se levant.
    Valmarana se leva à son tour de son fauteuil rembourré et frotta son uniforme rouge foncé avec application.
     
    Ils étaient de nouveau sur le quai. Une équipe d’Albanais munis de balais et de seaux s’avança vers eux avant de se répartir dans les voitures. Tron supposa qu’aucun d’entre eux n’avait de papiers à jour. Mais comme la gare de Santa Lucia relevait de la compétence de l’administration militaire, cette infraction ne concernait pas la police vénitienne.
    — Et comment vas-tu en dehors de cela ? demanda-t-il en songeant au palais Valmarana. Apparemment, vous avez loué.
    — Les locataires rapportent de l’argent, acquiesça le comte. L’an dernier, nous avons pu refaire la toiture. Et au printemps prochain, nous nous attaquons à la façade donnant sur le Grand Canal. Teresia déteste vivre sous les toits, mais moi, ça me suffit. Il faut dire que je suis souvent parti.
    — Depuis quand travailles-tu aux chemins de fer ?
    — Depuis six ans. Je pourrais être chef de gare à Padoue si je voulais.
    — Et pourquoi ne veux-tu pas ?
    Il secoua la tête.
    — Au bout du compte, je gagne mieux ma vie sur les rails. Grâce aux pourboires. J’ai toute une clientèle. Des gens qui demandent quel jour je travaille et ne veulent voyager qu’avec moi. Le bénéfice n’est pas mince.
    Valmarana tapa sur sa poche de poitrine.
    — Dans des enveloppes, comme le cachet des artistes, ajouta-t-il en souriant.
    Ils s’arrêtèrent devant le bureau du télégraphe et se serrèrent la main. Valmarana, qui avait remis sa casquette au large galon doré, rappelait maintenant les portiers du Danieli . Sur ses tempes, ses cheveux bruns pommadés luisaient comme s’il les avait plaqués avec de l’huile de moteur.
    — Ça m’a l’air intéressant, dit Tron avant de s’en aller, cette histoire de pourboires.
    Ce qui était un pur mensonge. Cette histoire de pourboires était juste pitoyable. Aussi pitoyable que la révérence servile avec laquelle son ancien camarade de classe avait empoché l’enveloppe du général. D’un autre côté, il n’était pas exclu que Valmarana gagne ainsi plus qu’un commissaire de police mal payé, qui n’avait pas refait le toit de son palais et qui ne savait pas avec quel argent il pourrait rénover la façade donnant sur le rio Tron.
    En tout cas, pensa-t-il en sortant à l’air libre et en descendant à pas lents les marches menant au Grand Canal, il avait du mal à imaginer le gros Valmarana en train de lancer un lacet autour du cou du Kostolany et de serrer jusqu’à ce que le cœur du marchand d’art cesse de battre. En outre, si ses affirmations se vérifiaient, il n’avait aucune raison de le tuer. Cela étant, une petite vérification auprès d’Alphonse de Sivry le lendemain matin ne pouvait pas nuire.
    Deux officiers de l’armée impériale aux manteaux blancs négligemment posés sur les épaules descendirent d’une gondole et gravirent en hâte l’escalier de la gare. Arrivé au pied des marches, Tron s’arrêta, pencha la tête en arrière (sans oublier de retenir son chapeau) et observa le ciel au-dessus de lui, absolument pur, lavé par une légère brise venant de l’est de la lagune. Une gondole aux faibles lanternes passa devant lui. Pendant un moment, de minuscules vagues où se reflétaient les rayons de lune se formèrent à la surface noire du Grand Canal.

9
    Lord Duckworth, un roux maigre aux cils presque sans couleur, se pencha sur la sanguine que le gros Français avait posée sur le comptoir et s’efforça de garder la maîtrise de sa respiration. Le vendeur, qui était selon toute apparence le propriétaire de cette boutique clinquante sur la place Saint-Marc, avait sorti la feuille d’un tiroir et l’avait placée devant lui de ses doigts roses et boudinés. Puis il avait dit « Voilà ! » en esquissant une petite révérence et s’était reculé avec sa politesse mielleuse de Français. Persuadé que ses yeux globuleux étaient maintenant rivés sur lui, lord Duckworth estimait judicieux de ne rien laisser paraître.
    La feuille légèrement poussiéreuse aux bords froissés

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