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Gondoles de verre

Gondoles de verre

Titel: Gondoles de verre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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lui semblait constituer une véritable aubaine. Il avait vu l’original – un grand tableau rond – à Florence et l’avait contemplé avec recueillement : la mère de Dieu, dans son habituelle robe rouge et bleu, se tournait en arrière dans un mouvement athlétique et levait les bras au-dessus de son épaule droite pour prendre l’enfant Jésus (petite tête bouclée et membres musculeux) que lui tendait un saint Jean-Baptiste au corps puissant.
    Pour une sanguine anonyme de la première moitié du XVI e siècle, le prix était exorbitant. Mais s’il s’agissait bien d’une esquisse du Tondo Doni conservé aux Offices, la somme que réclamait le gros Français paraissait ridicule – preuve que cet imbécile qui lui souriait toujours avec son air de maître d’hôtel n’y connaissait rien. Cela ne le surprenait pas d’ailleurs de la part de gens qui mangeaient des grenouilles et n’étaient guère compétents qu’en matière de photographies licencieuses. Lord Duckworth, songeant sans le vouloir à Nelson et à la bataille de Trafalgar, résolut d’accomplir son devoir et d’écraser cet ignorant de Français.
    Il tourna un regard audacieux vers le marchand d’art et (pour éviter de lui mettre la puce à l’oreille) annonça d’une voix qui transpirait l’ennui :
    — Je vous la prends.
    En temps normal, il aurait payé sur-le-champ et emporté son butin à l’hôtel. Mais pour cela, il aurait dû sortir son portefeuille de la poche de son costume de voyage. Or la présence d’un homme à la redingote élimée, entré dans la boutique cinq minutes plus tôt, l’en dissuadait. Le commerçant l’avait invité d’un petit geste à s’asseoir près de la porte où il lisait à présent la Gazetta di Venezia avec une mine faussement inoffensive.
    Bien entendu, lord Duckworth avait repéré sur-le-champ que cet individu était tout sauf inoffensif ; il n’était pas né de la dernière pluie. Il l’avait observé du coin de l’œil et en était arrivé à la conclusion que cet homme – aussi misérable qu’il en eût l’air – devait appartenir à la pègre de Venise. Il s’agissait peut-être même du fournisseur du gros Français, venu encaisser ses dessous-de-table, une grande partie des articles de la galerie devant provenir de cambriolages. Et sans doute le surveillait-il à présent pour voir de quelle poche il sortirait son portefeuille et en informer aussitôt ses complices sur la place Saint-Marc. Lord Duckworth n’était pas sans savoir que les bons voleurs à la tire travaillaient de cette manière. Ils repéraient à l’avance où leurs victimes rangeaient leur argent après avoir payé. Ce qu’il allait bien évidemment se garder de faire.
    Et qui ne fut d’ailleurs pas nécessaire non plus puisque Alphonse de Sivry, comme s’appelait le marchand (un nom plus vrai qu’un billet de sept livres), proposa aussitôt de livrer le dessin au Danieli et d’encaisser la somme à l’hôtel. Sûrement, songea lord Duckworth avec un brin de pitié, ce pauvre imbécile se berçait-il de l’illusion de l’avoir roulé.
    Quand il regagna la sortie (ayant bien du mal à contenir un sourire triomphant), il fit par précaution un petit détour pour éviter de passer trop près du représentant de la pègre vénitienne. Lequel, toujours assis sur sa chaise avec une mine innocente, eut même le toupet de lui adresser un aimable signe de la tête.
    — Félicitations ! dit Tron qui s’était levé dès que le client roux au costume à carreaux eut fermé la porte derrière lui.
    Le commissaire n’avait certes pas vu le dessin (que Sivry s’était empressé de faire disparaître dans le tiroir), mais la mine satisfaite du marchand d’art lui laissait supposer qu’il avait conclu une bonne affaire.
    — Le lord aussi avait l’air très content, remarqua joyeusement le marchand.
    Il retrouva aussitôt son sérieux.
    — Je vous attendais, comte. J’imagine que vous venez pour Valmarana.
    Tron hocha la tête.
    — C’est exact.
    — Je suppose que vous l’avez interrogé. Et vous voulez que je vous dise si son histoire est vraie ou non.
    — Comment le savez-vous ?
    Sivry haussa les épaules d’un geste nerveux, puis répondit sans le regarder :
    — Manin travaille pour moi depuis hier.
    Une légère rougeur apparut sur son visage et se mêla au fard discret dont il avait recouvert ses joues.
    — Il m’a tout raconté. Y compris la dispute entre Kostolany et Valmarana. Il

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