Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Gondoles de verre

Gondoles de verre

Titel: Gondoles de verre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
Vom Netzwerk:
échangé son uniforme contre une redingote. Mais si ce n’était pas cela, pour quelle raison éprouvait-elle le sentiment d’être trompée ?
    Mme Leinsdorf en arriva à la conclusion que son mari ne valait pas l’argent qu’on avait dépensé pour lui. C’est en cela qu’il l’avait trompée. Elle s’était laissé abuser par un miroir aux alouettes, un uniforme de carnaval clinquant sous lequel se cachait un homme en fixe-chaussettes couleur chair. On pouvait à la limite lui pardonner d’être un coureur de jupons abruti ; cependant, c’était là qu’elle pouvait se venger. Elle n’éprouverait pas une maigre satisfaction, songea-t-elle avec méchanceté, de tenir en main une preuve de ses infidélités – et surtout de la rapporter à son père à Vienne. S’il y avait bien une chose que le directeur général Leinsdorf craignait, c’était cela.
    Elle tendit la main vers son cognac et constata que le verre était vide. Elle fit donc signe au garçon et – bien qu’elle eût déjà payé afin de rentrer à l’hôtel – elle commanda un troisième double. Le serveur, encore reconnaissant de l’aide qu’elle lui avait apportée au moment de l’addition, lui sourit ; elle lui rendit son sourire.
    Quand le cognac arriva, elle en but la moitié d’un trait et s’affala à l’ombre du parasol – on ne pouvait plus désormais qualifier ce mouvement de geste contrôlé. Une relève avait justement lieu à la table voisine : deux sous-lieutenants du génie de Graz cédaient la place à un homme qu’elle identifia immédiatement comme espagnol – grâce au geste fier avec lequel il repoussa les tasses et les Kännchen vides pour étaler son journal. Ce geste révélait un caractère brutal, mais en même temps viril et vigoureux qui lui plut. Ce beau caballero 1 portait-il lui aussi des fixe-chaussettes couleur chair ?
    Mme Leinsdorf résista à la tentation de lever son verre à sa santé, ce qu’il aurait de toute façon ignoré. Il l’avait frôlée des yeux, mais elle savait bien qu’elle ne faisait pas partie de ces femmes qui retiennent le regard des hommes. Elle vida le reste de cognac, ferma les paupières et écouta un moment la marche Adieu, petit hussard que la fanfare interprétait à ce moment-là. Bientôt, ses pensées se tournèrent de nouveau vers son mari, le directeur général Fixe-Chaussettes.
    Qu’est-ce qu’il pouvait bien faire ici ? Elle savait juste qu’il avait toute une série de rendez-vous à cause du financement d’une ligne de chemin de fer entre Venise (ou s’agissait-il de Padoue ?) et Ferrare. Et qu’il avait rencontré par deux fois une obscure princesse italienne qui avait besoin d’argent pour monter une usine de tissage (ou peut-être une verrerie ?). Mais ces obligations suffisaient-elles à justifier des dîners d’affaires tous les deux jours ? Non, conclut-elle, bien sûr que non. Tout en tapant machinalement les pavés du bout de sa botte au rythme de la marche, Mme Leinsdorf acquit la conviction que le directeur général Fixe-Chaussettes avait une poule.
    Quand elle rouvrit les yeux, elle découvrit le dos d’un homme penché au-dessus de la table voisine, qui s’entretenait avec l’Espagnol dans une langue inconnue. Elle ne comprenait pas un mot de ce que cet excité racontait, mais observa que les traits du caballero se durcissaient et s’assombrissaient à chaque phrase. Lorsque l’intrus eut fini, l’Espagnol secoua la tête et éclata de rire. Ce sur quoi l’homme qui lui tournait toujours le dos tira une feuille de papier de sa poche, la déplia et la tendit à l’Espagnol.
    Mme Leinsdorf devina qu’il s’agissait d’une reconnaissance de dettes ; l’Espagnol devait signer. Soudain, l’excité sortit de sa redingote un objet métallique qui brilla au soleil. Cet objet lui parut très grand et il fallut quelques secondes pour qu’elle comprenne qu’il s’agissait d’une arme à feu. Alors, tout alla très vite – si vite qu’elle eut du mal à suivre le cours des événements. L’Espagnol – pour lequel elle avait pris parti malgré elle – s’était levé d’un bond et fixait l’intrus, les yeux écarquillés. Puis elle nota qu’une forme vint lui boucher la vue du côté gauche et s’abattit sur le bras de l’homme dans un bruit sourd. L’arme tomba à terre avec fracas et le sous-lieutenant croate dont le sabre avait frappé le bras de l’excité poussa l’agresseur contre la table, cassant au

Weitere Kostenlose Bücher