Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Grand-père

Grand-père

Titel: Grand-père Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marina Picasso
Vom Netzwerk:
possède une famille.
     
    Une sonnerie de clairon et c’est le premier acte : la
suerte de varas .
    Suerte de varas ou épreuve des piques.
    Hués par la foule, bedonnants, arrogants dans leurs tuniques
de brocart, les picadors font leur entrée en lice. Sous leur poids et celui de
leur caparaçon matelassé, leurs montures claudiquent jusqu’à l’emplacement qui
leur est attribué pour la course : un couloir dessiné à la chaux sur le
sable.
    Ils ont les yeux bandés.
    — C’est pour les apaiser, m’explique Paulo, mon père.
    — Quand on n’est rien, la mort ne se regarde pas en
face, l’interrompt Picasso. Dans l’arène, la seule qui importe est celle du
taureau.
    Hommage au Minotaure se nourrissant de chair.
    Dans son coin d’ombre, sa querencia , le taureau
arrache, de ses sabots, le sable.
    Les peones s’élancent au travers de la piste. Faisant
tourbillonner leurs capes, ils provoquent, assaillent, provoquent le taureau. Hystérique,
le public stimule le peone , encourage la bête :
    — ¡ Anda, toro ! ¡ Anda !
    La bête dont les naseaux écument de fureur.
    Un peone plus téméraire que les autres se risque dans
sa querencia où elle est acculée.
    Le temps s’est arrêté.
    Le taureau se ramasse sur ses pattes, ses naseaux hument l’air
et ses cornes s’acharnent contre le ciel. Il charge, rapide comme la foudre, se
dérobe à la cape que le peone lui offre, se rue droit devant, fait un écart
et revient sur la cape qui balaie son flanc.
    Devant lui, le picador et surtout le cheval qui tente de se
cabrer. Une pause, un sursis et de nouveau la charge. Pris de plein fouet le
cheval est soulevé du sol, forcé contre la barrera . Sous le choc, il s’affaisse
sur ses antérieurs mais parvient à se tenir debout. Malgré le matelas
protecteur qui recouvre son flanc, le taureau cherche un passage pour l’éventrer.
Coups de boutoir violents stoppés net par la pique du picador qui s’enfonce
dans la bosse musculaire faisant saillie sur le cou de la bête. Comme un geyser,
un flot de sang jaillit. Écarlate. Terrifiant. Nouvelle pique et nouvelle
morsure de l’acier dans la chair du taureau qui pousse des quatre jambes, s’enferrant
un peu plus. Nouvelle pique encore et encore. Dans le jargon de l’art
tauromachique cette monstruosité s’appelle la « punition ».
    La punition pour quoi ? Pour s’être laissé piéger à l’inhumanité
des hommes ? Pour affermir leur barbarie ? Leur volonté de puissance ?
Pour leur donner la valeur qu’ils n’ont pas ? Pour figurer un jour sur une
toile : Nature morte au crâne de taureau , Guernica, Minotaure, Minotauromachie   ?
    Au loin, nouvelle sonnerie de clairon. Les picadors ont
évacué la piste.
    Je suis anéantie.
    J’ai reçu trop de piques.
     
    Le reste de la course ne m’intéresse pas. Pas plus que ne m’intéressent
ce public de bestiaires, Picasso que les photographes mitraillent, mon père qui
boit sa énième canette de bière, ma mère qui doit sûrement rire avec ses voyous,
Cocteau le bouffon magnifique, Jacqueline sous son châle noir.
    Anesthésiée, je reçois la morsure du dard des banderilleros .
Comme dans un film passant à l’envers, je voudrais que le taureau retrouve
toute sa gloire sans ces mailles de sang qui souillent son pelage, sans ces
aiguillons harponnés à son cou. J’aimerais que la barrera se volatilise,
que les gradins s’éclipsent, que les toreros et le public qui les idolâtre
soient emportés par un coup de vent. Je voudrais que le taureau se retrouve
dans son champ au milieu de sa manade…
    Que cette corrida n’ait jamais existé.
    Arc-bouté sur ses pattes, le taureau attend l’ultime drame :
celui de la faena , celui de la mise à mort.
    Offense ou marque d’arrogance, Dominguin lui tourne le dos
pour se rendre au-devant des gradins. Il soulève sa coiffe, la brandit en
direction de Picasso. Il lui offre la mort.
    La foule bat des mains et rugit alors que Pablito
craintivement se serre contre moi.
    J’enlace ses épaules.
    Tout comme lui, j’ai peur.
    Comme deux « inséparables », ces perruches qui ne
peuvent vivre qu’en couples, nous sommes soudés, main dans la main, front
contre front. Nous refusons de prendre part à l’ignominie des hommes.
    Nous parviennent des « olé », des coups de sifflet
stridents. Nous sommes transis d’angoisse comme si le feu du ciel s’abattait
sur nos têtes.
    — Tu crois qu’il va souffrir ? me glisse Pablito.
    Des

Weitere Kostenlose Bücher