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Grand-père

Grand-père

Titel: Grand-père Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marina Picasso
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besoin d’un père responsable »…
    Je trouvais dégradant ces sermons arbitraires, et pitoyable
la conduite de mon père devant son bourreau.
    Pour y échapper, je m’efforçais de penser à la mer, au
soleil, à la plage, aux copains, à notre vieux youyou. Je m’inventais un père
pêcheur qui, tous les jours, m’emmènerait au large pour prendre du poisson qu’il
vendrait au marché. J’imaginais une mère acceptant de faire des ménages pour ne
plus dépendre de Picasso, un Picasso qui serait un grand-père…
    Je me fabriquais des parents qui ne faisaient pas partie du
monde que l’on m’avait choisi.
     
    Je me souviens également des dimanches où Catherine Hutin
nous parlait de l’institution où, pour ne pas déranger Monseigneur  ;
sa mère l’avait mise comme interne. Ne connaissant rien d’autre de la vie, elle
nous faisait la classe dans sa petite chambre. Une maîtresse inflexible, sourire
enjôleur, coups de règle sur les doigts.
    Un châtiment qu’elle nous infligeait peut-être pour soulager
sa rancœur envers Picasso qui ne voulait pas d’elle à La Californie .
     
    Il y eut aussi le jour où  – stupéfaction  – je
vis pour la première fois mon grand-père triste. Pour minuter le temps qu’il
nous restait avant que Jacqueline Roque, devenue M me  Picasso, nous
fasse savoir d’une manière ou d’une autre que la visite était terminée, j’avais
machinalement consulté la montre-bracelet que ma mère venait de m’offrir dans un
accès de générosité. Grand-père avait alors affiché un regard douloureux.
    — Tu t’ennuies ? m’avait-il demandé.
    Pour la première fois, mon grand-père avait un vrai chagrin,
un vrai regard : celui d’un vrai grand-père.
    Pour ne pas briser le charme, je n’avais pas répondu. J’avais
peur que le Picasso que nous importunions ne refasse surface et chasse cet
éclair d’affection que je garde encore gravé dans ma mémoire.
     
    Pour fuir La Californie que des promoteurs avaient
profanée en construisant, à l’extrémité de son parc, une résidence qui
condamnait la vue sur la mer et les îles de Lérins, grand-père avait acheté un
mas provençal à Mougins : Notre-Dame-de-Vie .
    C’était un véritable bunker défendu par des grilles
électriques et des fils de fer barbelés. À l’entrée, un système d’interphones
filtrait les visiteurs, et des chiens afghans, dressés à l’attaque, étaient
lâchés jour et nuit dans le parc.
    À Notre-Dame-de-Vie , nos visites s’étaient très vite
transformées en audiences officielles minutées par l’implacable Jacqueline, gardienne
du sanctuaire.
    Picasso était-il au courant du barrage qu’elle faisait ?
J’en ai peur. Lui seul pouvait lui conférer ce pouvoir tout en restant dans l’ombre.
    Vexé plus qu’ulcéré par le livre de Françoise Gilot, Vivre
avec Picasso , il ne recevait déjà plus Claude et Paloma ni, pour des
raisons mesquines, Maya, la fille de Marie-Thérèse Walter. Seul mon père était
encore admis. Il tenait à ce que Pablito et moi l’escortions pour témoigner qu’il
s’occupait de nous. Pourquoi, ne serait-ce qu’une fois, ne nous a-t-il pas
permis de voir notre grand-père sans lui ? Nous aurions pu alors lui
montrer que nous n’étions pas seulement des pièces rapportées. Nous lui aurions
ouvert notre livre d’images pour qu’il comprenne ce que nous attendions de lui.
    Hélas, le rideau de fer que l’on avait tiré entre grand-père
et nous était beaucoup trop lourd. Et hermétique à nos interrogations, nos
désirs, notre souffrance.
     
    Qu’est devenue la lumière de La Californie  ? Ici,
à Notre-Dame-de-Vie , le monde n’est que ténèbres avec ces cyprès
mortuaires, ces oliviers lugubres, cette enceinte inviolable et cette voix
métallique sortant de l’interphone surmonté de son œil de cyclope :
    — Qui êtes-vous ?
    — C’est Paulo. Paulo et les enfants !
    Un silence et ces mots :
    — Le maître ne peut vous recevoir.
    Nouvelle offensive une semaine plus tard et toujours cette
voix anonyme :
    — Le maître est absent… ou :
    — Le maître se repose.
     
    — Le maître accepte de vous voir.
    Nous sommes enfin reçus dans une sorte de crypte aux murs de
pierres sèches : l’atelier de grand-père. Jacqueline, prêtresse des lieux,
est là, suivie de Kaboul, l’un des chiens afghans.
    — Faites attention, il mord, nous lance-t-elle avant de
s’esquiver, pareille à une

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