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Grand-père

Grand-père

Titel: Grand-père Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marina Picasso
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faveur réservée à la famille et aux proches avant de s’isoler pour implorer
le secours de la Vierge et de sainte Véronique.
    — Avant de mourir sous la corne, a ajouté fièrement
Pablito en croisant mon regard.
    La mort qui perfore les entrailles et fait jaillir le sang.
    La mort de Pablito, mon frère.
    Plus tard.
    Dans une tout autre arène conçue par Picasso.
     
    Derrière les matadors  – Dominguin marche au centre
 – avancent, par ordre d’ancienneté, les douze banderillos et les
huit picadors montés sur leurs chevaux caparaçonnés, misérables
haridelles aux pieds cagneux et aux oreilles basses.
    Mon regard croise celui de Picasso. Impassible, il détourne
les yeux. Ma présence le dérange.
    — Pourquoi, m’a-t-il confié un jour, pourquoi
pleures-tu sur le sort de ces chevaux ? Ils sont vieux et bons pour la
boucherie.
    Ce jour-là, j’ai compris que le destin de ceux qui servaient
son plaisir ne l’intéressait pas. Leur vie n’était que secondaire.
     
    La parade est terminée. Les picadors ont quitté la piste. Les
garçons de service égalisent le sable que les sabots des chevaux ont remué. Les
matadors et leurs cuadrillas ont rejoint le callejón. En
attendant de toréer, ils déploient leurs lourdes capes de parade sur la
palissade protégeant la première rangée de sièges. Dominguin a fait porter la
sienne à Jacqueline Picasso, assise au deuxième rang à côté de Jean Cocteau
venu spécialement de Saint-Jean-Cap-Ferrat. Il va vers la barrera et
choisit une cape de combat cerise à l’extérieur et jaune à l’intérieur.
    Le regard d’aigle de Picasso enregistre chaque geste. Cette
nuit ou demain  – à l’émotion près  –, ils seront reproduits sur une
toile, dans un plat ou alors, tout de suite après la course, dans ce carnet qui
ne le quitte pas. Mon père évite de lui parler. Il sait qu’il ne faut pas
troubler cet instant transcendant, comparable à celui que vivra Dominguin quand
il se couchera dans le berceau des cornes du taureau pour lui donner la mort.
    Pablito aussi respecte ce mystère. Menton bloqué entre ses
poings, il épie son grand-père.
    J’ai mal. À ce moment précis, perdus dans leurs pensées, ils
se ressemblent tant.
    Tout comme Dominguin qui, derrière son burladero  – l’abri de planches dressé sur la piste contre la barrera  –, se prépare à la peur.
     
    La porte du toril crache son premier taureau, un raz de
marée de violence qui déferle sur la piste, laboure de ses sabots furieux le
sable de l’arène, vient heurter de plein fouet les planches du callejón ,
souffle, écume et se cabre.
    Il est seul avec toute sa rage. Seul pour sauver sa peau.
    Tout comme Picasso lorsqu’il brûle d’envie d’atteindre l’absolu
en brossant une toile.
     
    L’un des banderillos s’avance vers le taureau, le
nargue avec sa cape, le force à charger. Derrière son abri, Dominguin note ses
écarts, ses mouvements de cornes, estime sa puissance, ses vices, son audace. Son
visage est animé de tics.
    C’est à lui maintenant de braver l’animal et de le célébrer.
Il avance dans l’arène à petits pas glissés. Le taureau se campe sur ses pattes.
Ses muscles sont tendus et bouillonnent. Dominguin le provoque de face. Il se
tient immobile. Le taureau fond sur lui, s’engloutit dans les plis de la cape. Sa
corne droite érafle la poitrine de Dominguin. Bête et homme soudés. Sans
broncher, l’homme impose ses attitudes : véroniques, manoletinas , parones dangereuses, parfaites, irréprochables.
    —  ¡  Ole  !
    —  ¡  Anda  !
    L’arène, la plaza de toros , est debout et scande
chaque passe.
    Picasso exulte et s’égosille :
    — ¡  Para los pies ! ¡   Anda, Luis
Miguelito  !
    Il se penche sur Pablito, lui ébouriffe les cheveux :
    —  Niño , déclare-t-il en riant, parar, templar,
mandar sont les trois commandements de la tauromachie. Parar , c’est
tenir ses deux pieds immobiles, templar , c’est bouger l’étoffe lentement, mandar , c’est contrôler le taureau au moyen de l’étoffe…
    Il se tourne vers Cocteau et lui lance en désignant mon
frère :
    — Tu vois, Jean, celui-là, il sera torero !
    —  Parar, templar, mandar , bredouille Pablito, des
étoiles dans les yeux.
    Son grand-père l’a gratifié de sa considération. Il doit s’en
montrer digne.
    Mon père s’est approché de moi.
    — Tout va bien, Marina ?
    Je suis heureuse et j’éclate de rire.
    Tout va bien. Je

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