Grands Zhéros de L'Histoire de France
noircir le tableau : n’écrit-il pas que Santa Cruz meurt non pas de maladie mais de dépit parce que Philippe II lui aurait adressé un « mot amer » ? En réalité, les raisons ne manquaient pas de choisir Médina Sidonia : il était l’un des hommes les plus riches d’Europe et financerait, qu’il le veuille ou non, une partie de l’expédition ; il était alors le confident et le favori de Philippe II et il appartenait à l’une des plus grandes familles d’Espagne, ce qui lui vaudrait, pensait-on, d’être obéi de ses fiers subalternes. En somme, dans l’esprit du souverain, son nom, son rang et son autorité devaient lui tenir lieu de « permis bateau » !
Infortuné Sidonia ! Essayons un instant d’imaginer ce malheureux accablé par la charge qu’il va devoir assumer, arpentant son hacienda de long en large, s’arrachant les cheveux en gémissant : « Pourquoi moi ? »
Que fait alors notre zhéro ? Prenant son absence de courage à deux mains, il adresse au roi une lettre dans laquelle il décline poliment l’honneur d’aller au « casse-pipe ». Il écrit : « Je n’ai pas une santé suffisante pour la mer… Je sais par les quelques rares expériences que j’ai pu avoir de la navigation que je suis rapidement sujet au mal de mer et que je prends toujours froid. La flotte est si grande, et le commandement si important, que cela ne convient guère à une personne comme moi, ne possédant aucune expérience de la guerre en haute mer. Il ne fait aucun doute que Sa Majesté me fera la faveur dont je la prie humblement, et ne m’en voudra pas si je décline un honneur pour lequel je ne suis pas fait […]. »
Le futur capitaine de l’Invincible Armada déclinant avec l’énergie du désespoir le commandement de la flotte espagnole pour cause de mal de mer ? C’est presque trop beau pour être vrai !
Toujours est-il qu’en cette occasion Philippe II se conforma parfaitement à sa réputation de roi orgueilleux et étroit d’esprit. Il avait décidé que Medina Sidonia ferait l’affaire et n’en voulut pas démordre ; ainsi notre homme fut-il promu « à l’insu de son plein gré » capitaine général de la mer océane. On ne connaît hélas que trop les conséquences de ce choix catastrophique !
Les Espagnols vont réunir dans le port de Lisbonne la plus grande concentration de bateaux jamais rassemblée par la chrétienté : cent trente navires et près de trente mille hommes. Côté anglais : cent quatre-vingt-dix-sept navires et près de seize mille hommes, soit moitié moins que côté espagnol. Si les bateaux anglais sont plus petits, équipés de moins de canons, ils sont en revanche plus légers et plus rapides. Par ailleurs, les marins anglais sont plus que motivés pour envoyer l’adversaire par le fond, car depuis des mois des libelles diffusés par les protestants hollandais prétendent que l’un des bateaux espagnols contient assez de corde pour pendre tous les Anglais, des fers pour marquer les joues des enfants hérétiques, des fouets pour fustiger l’ensemble de la population anglaise et des nourrices espagnoles pour remplacer les mères anglaises !
Le 28 mai 1588, la flotte espagnole quitte le port. Sidonia doit faire la jonction aux Pays-Bas avec le duc de Parme, qui a pris la tête de l’armée des Flandres, et débarquer avec lui en Angleterre. Entretemps, il est censé longer les côtes françaises et éviter le combat. La mort dans l’âme, il met les voiles vers la France, non sans tenter une dernière fois en cours de route d’infléchir Philippe II, qu’il supplie d’abandonner cette expédition.
Menée par un chef incapable d’exercer son commandement, n’ayant aucune stratégie, victime de son impréparation (notamment l’absence de système de signaux pour communiquer entre bateaux) et de la défection de certains amiraux rétifs à toute autorité, la flotte espagnole va par ailleurs jouer de malchance avec la météo : tempêtes successives, naufrages en séries, avaries, échauffourées avec des vaisseaux anglais plus maniables dont les Espagnols sortent affaiblis et démoralisés, échec de la jonction avec l’armée des Flandres. Le tout se termine en explosion générale dans le port de Calais, où les Anglais envoient de nuit des barques chargées de poudre : près de cent bateaux échappent à l’explosion, fuient les Anglais par la mer du Nord, voguent à vau-l’eau, bourrés de soldats malades, terrorisés et
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